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Le journaliste burundais « incompris » du législateur et qui « ne se comprends pas bien » non plus!

AU FIL DU TEMPS (Articles publiés)


Les débats actuels concernant les rapports entre la communication et la politique, entre les professionnels des médias et la politique, sont au cœur d’un questionnement de plus en plus fondamental. En effet, ce que la communication fait à la politique est la médiatisation pendant que ce que la politique fait à la communication est la régulation[1]. Ce rapport est souvent (pour ne pas dire toujours) conflictuel. Nous vivons ici et là un malentendu entre les acteurs de la vie de la société, et je pense que la plupart des fois, cela vient du fait que les uns et/ou les autres ne comprennent pas bien qui sont réellement leurs interlocuteurs. La situation devient grave quand les groupes qui se  mettent à discuter n’ont pas clairement leur identité et la tâche qui en découle.

C’est à ce double niveau que je situe le malentendu qui se trouve actuellement entre les professionnels, ou mieux, les opérateurs des médias du Burundi et le législateur qui a un mot à dire sur la presse comme sur les autres acteurs de la vie nationale. Les journalistes sont aussi des citoyens. Comment doit-on comprendre le journaliste et son travail pour l’aider par la suite à contribuer au bien de la société ? Quel doit être l’apport du législateur pour « lubrifier » son travail ? Quel regard critique pouvons-nous porter à certains points qui ne requièrent pas l’unanimité des deux acteurs susmentionnés dans le nouveau projet de loi en examen dans la chambre haute du parlement ? Ces quelques lignes  voudraient donner une petite contribution.

Le législateur et le journaliste comprennent-ils chacun son devoir?

J’ai été agréablement touché par l’analyse qui a été dernièrement par Roland Rugero quand il parlait de ce que devrait être un

Sergio G.Perez & Lambert R.(Radio Vatican, Avril 2013)

journaliste professionnel. Nous sommes devant un métier particulier, « une vocation » et non pas seulement une carrière. Le journaliste qui s’y engagerait poussé simplement par des contraintes de la vie quotidienne ne réussirait pas, et je ne crains pas d’être contredit à ce point. Jusqu’où va son travail ? En lisant les journaux le matin, en écoutant les informations quand il attend que soit prêt son petit déjeuner (pour qui a la chance de le trouver !), en ouvrant la page internet de son Smartphone avant d’aller au lit, … ), il ne fait que ce qui fait partie de la vie, non seulement une profession. Il n’a pas, à proprement parler, d’heures de travail. Que cherche-t-il en tous cela ? La compréhension de la réalité, estimé-je. Qu’en fait-il ? Ici commence alors le métier du journaliste.

Même si le peuple a droit à l’information, il faut dire qu’il n’existe pas de pacte « formel » entre le journaliste et le peuple en matière de journalisme. Le journaliste travaillera comme un artiste qui sent en lui le besoin de représenter le bien comme bien, et le mal comme mal. Mais, il est souvent difficile de déchiffrer un tableau d’un artiste sans une interprétation préalable. C’est pour cela que le journaliste n’est pas là pour « transmettre simplement les opinions du peuple », ni uniquement « défendre le peuple des exactions du pouvoir », comme cela a été dit lors de la synergie des médias du 18 avril ce qui se réduit à la contestation, mais donner le sens profond de la réalité qui se passe sous nos yeux. Ce serait vraiment trop peu comme tâche, si je paraphrase Rugero[2].

Les choses ne sont pas souvent claires même dès le départ : il suffit par exemple de voir l’identité que transmettent les différentes dénominations. Si on se dit « Voix des sans voix » (en cas de la R.P.A), « Ijwi ryawe » (en cas de REMA FM) pour ne donner que ces deux exemples, l’identité revêt à première vue, un caractère partiel  et cela n’étonnera pas quand on glissera « du partiel » vers « le partial », ou tout au moins, être ainsi perçu selon qu’on change de manettes de commandement du pouvoir. Je ne pense pas que ce soit la même chose quand on parle de « La Voix de l’Amérique » (V.O.A), des « Voix du Burundi », de « Bonesha FM » : ceci apparaît non exclusif dès départ et ce sera ce défi qu’il faudra toujours relever pour la suite. Les deux groupes d’appellations ne transmettent pas, à mon entendement, des  « premières impressions » identiques. L’erreur, (si erreur il y a), ne vient-il pas peut-être d’un doute « a priori », que le pouvoir en place, quel qu’il soit, ne peut pas garantir l’intérêt commun ? Ceci ne veut pas dire que je minimise un fait important, que la presse burundaise (i.e. les médias privés) soit née dans un contexte de guerre où une voix unique n’augurait aucune certitude sur l’impartialité de l’information. Faudrait-il faire un autre pas pour bien décliner son identité par la pertinence des analyses qu’on porte sur la réalité, et non seulement être une caisse de résonnance de ceux qui, selon leur appartenance politique ou leur positionnement par rapport au pouvoir en place, ne sont pas sûrs de faire entendre leur voix sur tel médium que sur tel autre. Les médias ainsi conçus ne seraient que des instruments de relais des opinions ! Bien que cela soit important pour le début d’un dialogue et d’un débat contradictoire, j’ai peur qu’on ne soit resté pendant des années sur ce seuil, ce qui ne fait qu’ « aligner politiquement » les médias burundais d’un côté ou d’un autre. Chers amis journalistes, que dites-vous de vous-mêmes avant de s’attaquer à ce que les autres disent de vous ? Il est impérieux de répondre à cette question.

La délicatesse du métier de journaliste.

Une des question auxquelles répond le journaliste est : « Que se passe-t-il au juste ? Que s’est-il passé ? ». Il ne s’agit pas d’un travail de collecte et de compilation d’événements, mais de les observer afin d’aider son lecteur/auditeur, même celui qui en aura été témoin oculaire et auriculaire, à aller à l’essence des faits en en comprenant les mécanismes souvent complexes qu’ils vont au-delà de l’événementiel. Ce n’est pas facile ! C’est un travail comparable à l’extraction de l’alcool à partir d’une matière quelconque. On a certes besoin de beaucoup de matière, mais on en recueille peu comme alcool, en réalité. Le journaliste ne sera donc pas celui qui nous relatera tout ce qu’il aura recueilli, et les conditions devront toujours lui permettre de recueillir le plus de matériel possible : l’accès à toutes les sources possibles, sans limitations. Il pourra alors nous donner une interprétation. La double question que je me pose est de savoir si c’est vraiment cela qui meut nos journalistes d’une part, ou bien si la loi qui est en train d’être analysée permettra de faire ce travail. Du moment que la loi se borne à des restrictions quand il fallait être le plus positif possible, quand on se penche sur ce que l’on doit pas faire, une telle loi rate ses objectifs.

Etre journaliste, en outre, ne signifie pas être neutre[3] par rapport à la réalité. Donner une interprétation de ce qui s’est passé (WHAT ?) ne peut jamais être neutre surtout quand il s’agit des actes humains. Un petit exemple : dans une dictature, si un policier était tué par le peuple, certains ne diraient-ils pas qu’un membre des forces de l’ « ordre » (ordre pour le pouvoir !) a été assassiné, tandis que d’autres diraient que le peuple s’est libéré d’un oppresseur ? Ce n’est donc jamais si neutre qu’on le pense, j’estime. L’information se transmet par une formulation textuelle non neutre.

D’une part, renoncer au jugement, et de l’autre,  s’attaquer à celui qui sonne sa vision comme il en a été le cas chaque fois qu’on a interdit aux médias de nous faire l’éditorial, en restreignant le travail à collecter et diffuser des faits (ce qui n’est pas non plus facile !) ne serait pas être soucieux ne pas s’aligner pour ou contre le pouvoir en place, mais ce serait purement et simplement renoncer à informer avec vérité. En démocratie, le pouvoir ne peut pas empêcher la diversité de l’interprétation (le fait étant le même) qui fait partie de la tâche du journaliste. A-t-on besoin d’un diplôme pour porter un tel regard à la réalité ? Bien sûr que oui ! Cette condition est-elle exclusive ? Absolument NON ! L’expérience qui s’acquiert avec le temps, le contact effectif avec les faits, les acteurs ou les témoins aide à comprendre le sens des choses à interpréter. Quand il faudra « bien écrire », il y a le comité de rédaction. J’estime que c’est le même cas pour nos honorables parlementaires dont on ne cesse de souhaiter un contact régulier avec le peuple pour connaitre ses desiderata. Quand il faudra rédiger les lois, je pense qu’il y a des experts pour cela. Ce n’est donc pas primordialement et exclusivement une question de l’élite, une question de diplôme.

Il ne faudrait pas en outre penser que ce débat concerne seulement les journalistes de profession, parce qu’ils n’ont pas le monopole d’interprétation et de contribution en vue d’une compréhension préalable de la vie. Ne pas garantir cela pour tous est une atteinte à la liberté d’expression en tant que telle. C’est la négation d’une liberté consacrée par le régime démocratique qui, loin d’être une anarchie où chacun balance ce qu’il veut et comme il veut, contre qui il veut, admet la pluralité d’idées et d’opinions sur le sens à donner aux faits.

Entre le droit au secret professionnel et devoir moral.

Cette question ne concerne pas principalement le droit, elle est fondamentalement une question de devoir, et du « devoir moral » du journaliste. Oui, le régulateur du jeu[4], c’est le pouvoir public en place. Cependant, la législation ne peut jamais résoudre à fond ce problème. Dans ses acceptions, le secret professionnel journalistique en ce qui concerne l’anonymat de la source de l’information est une question de justice et de vérité. Il concerne objectivement la matière qui doit être tue (en cas d’un fait raconté off record en vue d’une meilleure compréhension de la chose), et subjectivement le devoir de respecter la parole donnée à la source, quand bien même l’information serait portée au public par une autre source. Les aspects essentiels sont donc l’anonymat de la source puisque seule l’information nous intéresse, l’occultation des contenus informatifs qui peuvent porter à identifier la source (on dit chez nous : une source bien informée, proche du pouvoir, …), le secret professionnel d’une tierce personne, connu pendant le travail (ex. le champ médical)…

POURTANT, il n’est pas ABSOLU. Des problèmes éclatent quand la magistrature, qui a bien d’autres voies pour enquêter, veut le concours du journaliste. Celui-ci est une personne qui a une conscience et qui doit travailler pour le bien commun. Quelqu’un disait que « quand les cloches de l’Eglise sonnent, il ne suffit pas seulement de les entendre. Il faut aussi savoir qui les sonne» : s’il en a la faculté, si c’est l’horaire juste, etc. Ainsi, le journaliste doit savoir juger ses sources, et surtout ne pas déléguer sa responsabilité à un corpus légal, puisque les sources ne doivent pas le manipuler au détriment du service du bien commun. Qu’arriverait-il si un terroriste confiait à un journaliste qu’il explosera une bombe en plein marché ? Il en irait de la conscience du journaliste de décider ce qui est juste! Cependant, il restera inacceptable que le pouvoir public exige de révéler la source d’information : il s’agit plus du domaine du devoir moral du journaliste de décider pour le bien de tous, sans y être contraint. Je me demande alors en quoi la loi en cours d’analyse contribuera au renforcement d’une telle culture de prise de conscience morale. En augmentant la peur des amendes ? J’ai cru comprendre que les amendes exorbitantes auront comme pour objectif principal de limiter les dégâts par craintes des répercussions. C’est vraiment un faux pas qu’il ne faudrait jamais laisser passer, l’Etat ne peut ainsi éduquer une conscience professionnelle. Plutôt, la stratégie contraire serait celle d’utiliser ce qu’on attend recouvrer des journalistes pour des formations, des sensibilisations et autres moyens en vue d’une prise de conscience toujours accrue du sens du bien commun pour les journalistes comme pour les autres citoyens. Quel est le pourcentage du budget de l’Etat dédié à de tels investissements à long terme ? La réponse est évidente. N’espérons pas tirer profit des erreurs, il y en aura toujours, soyons plus positifs. Le secret professionnel est donc ici plus « un devoir moral envers la source, en vue du bien commun », qu’un droit devant la juridiction. Il faut renforcer le premier aspect pour plus de responsabilité.

Sans la reconnaissance de ce droit, on sera condamné à écouter les sources gouvernementales, et mêmes ces dernières s’exprimeront sur certaines choses et pas sur d’autres, selon les caprices et les intérêts du moment, parce qu’elles auront la garantie d’être citées sans  la moindre préoccupation des poursuites judiciaires. Et alors ? Adieu la démocratie, adieu la pluralité d’opinions. Ne faut-il pas encore plus de dialogue, de compréhension mutuelle, d’ouverture et de collaboration, pour que chacun prenne conscience de son identité et de la tâche qui en découle ?

Par Lambert RIYAZIMANA


[1] On lira avec intérêt BRETON, Ph & PROULX, S. L’explosion de la communication,

surtout  le Chap. IX. Analyses politiques de la communication pp.192-220.

[3] Norberto Gonzalez Gaitano, La interpretación y la narración peridística, Eunsa, Pamplona, 1998, PP.13ss. Voir aussi FUMAGALLI, A. & BETTETNI, G. Quel che resta dei media. Un etica della Comunicazione, Milano 1998, PP.38-44.

[4] PIGEAT, Henri, Média et déontologie. Règles du jeu ou jeu sans règles ? PUF, Paris, 1997,, surtout les chapitres 5 et 6.


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