Chers amis, la première partie de l’évangile de ce jour évoque de manière suggestive une peinture, qui montre au premier plan le Temple de Jérusalem éclairé par un soleil crépusculaire de fin d’été : la façade glorieuse resplendit d’une lugubre lumière, tandis qu’au second plan s’amoncellent imperceptiblement de noirs nuages, qui présagent un violent orage : il ne restera pas pierre sur pierre. Le monde ne peut pas continuer ainsi. Trop de vanité, trop d’apparence, trop d’hypocrisie et trop de mensonge. L’injustice et l’impiété crient au ciel.
La tension entre un ordre apparent et la réalité morale et spirituelle fragilise l’institution du temple : celui-ci se veut fondé sur le plan messianique de Dieu et passe pourtant à côté de son intervention dans l’histoire des hommes, puisque le Christ, la parole vivante de Dieu, comme autrefois les prophètes, n’est pas reconnu et accueilli. L’excessive confiance dans l’œuvre humaine produit la routine d’une foi paralysée par les structures, dont la stagnation spirituelle dégage une odeur putride. Elle fragilise aussi l’arrière pays qui subit les vertiges du pouvoir et des richesses : la vie est gagnée à force de durs labeurs.
Sans aucun doute, le Temple devait être très beau, avec ses colonnes et ses boiseries sculptées, ses draperies brodées, ses revêtements d’or. Il a été terminé en 63 et détruit en 70 par les armées du général romain Titus. Les pèlerins devaient rester bouche-baie, un peu comme nous le sommes devant la Basilique Saint Pierre de Rome. Il est vrai que la contemplation d’un édifice imposant et beau donne une impression de sécurité, comme si les pierres défiaient l’histoire et que pour un instant nous échappions nous aussi à l’usure du temps. L’intervention de Jésus vient rompre le charme : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit ». Pour les Juifs, ces paroles sont blasphématoires : le prophète Jérémie n’avait échappé que de justesse à la mort pour moins que cela. Ici, Jésus ne fait que nous arracher à nos rêveries de toute puissance et d’immortalité terrestre, pour nous ramener à la réalité de ce monde où tout est vanité.
On serait peut-être porté à penser que « ces histoires » de temples ne nous concernent pas. Loin de là. Chacun de nous, s’il s’assied pour y penser, à quelque chose sur laquelle il fonde plus ou moins sa sécurité : l’intelligence, la facilité de la parole et du discours, certains talents dont notre entourage parle, ce qui finit par nous rejoindre, TUKABIGĒNDERA, notre beauté/bonté,… je ne parle pas de richesses, il n’y a pas vraiment d’y revenir. Si nous ne faisons pas attention, nous pouvons alors être parmi ceux dont parle la première lecture : les arrogants. Attention ! Comment ? Chaque fois que nous n’osons pas nous arrêter pour voir ce qui est à la base de nos motivations, même en accomplissant de « bonnes œuvres » dont profite notre milieu de vie. Alors, nous rejoignons la catégories de ceux que la deuxième lecture met en garde ; les affairés sans qu’ils ne fassent rien. Arrête-toi, un instant, et regarde ce qui se passent ! Ne sont-elles pas des pierres, belles comme celles du temple de Jérusalem, mais qui sont destinées à crouler ? Il est vrai, notre œuvre ne défie jamais la réalité, il faut occuper notre juste place. Nous sommes fragiles. Devons-nous alors nous décourager ? NON !
Jésus nous assiste par son Esprit, quand toutes nos sécurités se révèlent vaines. Le chrétien vit continuellement une persécution. Pour mieux le dire, tout chrétien doit vivre le temps du témoignage, qui ne lui épargne pas bien sûr la souffrance, voire la persécution quand il marche à contre-courant. Il faut alors mener un combat. Heureusement, nous avons un Défenseur. En fait, le vrai combat n’est pas « nation contre nation, royaume contre royaume » ; tout cela demeure horizontal, intra-mondain, intra-historique, et appartient à ce monde éphémère. Le vrai combat est vertical : il se livre là où le croyant est persécuté « à cause du Nom » de son Seigneur. Ce combat là est trans-historique, il participe à celui qu’a livré victorieusement le Fils de l’homme et par lequel il a ouvert les portes du ciel. Saint Luc y reviendra longuement dans le Livre des Actes des Apôtres, où il relatera les persécutions subies par les disciples du Christ. Si ceux-ci ne se dérobent pas et ne sombrent pas dans le découragement, c’est précisément parce que le Seigneur les avait avertis de ce qui les attendaient. Toute dramatiques qu’elles soient, pour le vrai disciple, les persécutions sont à saisir comme des « occasions de rendre témoignage » à Celui qui, par sa résurrection glorieuse, nous a définitivement sauvé de la peur de la mort. Dans les épreuves – qui ne manqueront pas tout au long de l’histoire de l’Église – le Seigneur s’engage à venir personnellement en aide à son témoin : « Moi-même je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction ».
Dieu ne peut pas changer le cours des événements sans empiéter sur la part de responsabilité qui échoit à l’homme ; mais la liberté avec laquelle les chrétiens assument ces événements, devrait être un vivant témoignage que leur vie n’est pas entre les mains des hommes, mais de Dieu. Sans minimiser les dangers extérieurs qui nous menacent de toute part dans notre monde en ébullition, il n’en reste pas moins que le vrai danger, celui qu’il faut redouter plus que tout, est intérieur : la catastrophe la plus grave serait de trahir Notre-Seigneur et d’apostasier notre foi devant l’agressivité – peut-être un jour la haine mortelle – de ceux qui nous détestent « à cause de son Nom », et qui hélas peuvent être des proches, des amis, voire des parents. Tel est le sens de la demande du Notre Père : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation » – sous-entendu : de l’apostasie. L’historien romain Tacite écrit que les chrétiens étaient devenus « la haine du genre humain » ! Cela ne les a pas empêchés de témoigner de leur foi, au point que Tertullien a pu écrire : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens ». Devant de tels exemples, nous devrions être bien plus inquiets de notre tiédeur que de la « cataphobie » grandissante
Voie étroite de la Croix à re-choisir chaque jour : « c’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ». Pour un chrétien, cela n’est pas un accident de parcours, mais bel et bien quelque chose qui fait partie de sa vie. Puissions-nous devenir des hommes et des femmes de discernement, des prophètes remplis de Sagesse – celle de la Croix – pour pouvoir dénoncer les peurs aliénantes et stériles, et orienter nos frères vers les vrais enjeux et le véritable combat. « “Voici que vient le Jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise” (1ère lecture.).
Seigneur, accorde-nous de discerner les signes du Royaume au cœur de notre quotidien ; afin que réconfortés par ta présence, nous ayons le courage de te rendre dignement témoignage, sans crainte d’éventuelles représailles. Car “pour ceux qui craignent ton Nom, le Soleil de justice apportera la guérison dans son rayonnement”. »