La liturgie de ce dimanche du Gaudete nous invite résolument à la joie. L’antienne d’entrée donne le ton: «Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche » (cf. Ph 4, 4-5). Le motif de cette joie nous est clairement annoncé dans la première lecture, que nous illustrerons par des passages du même prophète Isaïe, proposés tout au long de la seconde semaine de l’Avent. Dieu lui-même vient bientôt « déchirer le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple » (Is 25, 7-8). Comment resterions-nous indifférents devant de telles promesses, qui réveillent en nous notre profond désir de paix, de bonheur, de salut ?
Peut-être demandons-nous spontanément : mais quand donc le Seigneur va-t-il intervenir pour réaliser ce renouvellement de toutes choses ? Quand donc «verrons-nous sa gloire, pourrons-nous contempler la splendeur de notre Dieu» et nous en réjouir de tout notre cœur comme il nous y invite ? En posant cette question, nous rejoignons l’interrogation de Jean-Baptiste et de tant d’autres chercheurs de Dieu dont les pas ont croisé ceux de Jésus : «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?» Jean Baptiste qui a espéré en la proche réalisation des promesses ne peut s’empêcher de crier, sans honte : «Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres … celui qui vient tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans le grenier ; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s’éteint pas» (Mt 3, 10-12). Il est donc prêt à séparer les méchants et les bons et à exterminer les méchants. Cela se réalisera-t-il?
Troublés face à un Dieu déconcertant.
L’image que nous faisons de Dieu est quelques fois déconcertante, révoltant,…Déjà ici Jésus se présente comme le bon berger qui recherche les moutons perdus et les ramène tendrement au troupeau. Les disciples de Jean s’impatientaient peut-être aussi. Mais ce qui est plus troublant, c’est sa situation : de la liberté de mouvement du désert au cachot, entre 4 murs et ce Jésus ne prend pas sa défense. Qui n’a pas vécu le silence de Dieu ? Pourquoi les impies prospèrent-ils ? Pourquoi tout ce mal, cette souffrance ? Vraiment, Jésus est-il celui qui doit apporter la liberté, la justice et la joie dans le monde ? Ou bien nous devons en attendre un autre !
Allez dire…
La réponse de Jésus aux émissaires du Précurseur nous oriente vers vraie réponse qui doit sortir de nous-mêmes. Il ne donne pas de réponse immédiate. Il invite à réfléchir, à observer, à méditer. Nous comprenons qu’il est légitime d’avoir des questions, des doutes. Mais tout cela nous renvoie à nous-mêmes. Toi qui penses à ces désordres, que fais-tu pour qu’il y ait un peu de justice, un peu de réconfort et de consolations aux personnes affligées ?
Par trois fois Notre-Seigneur demande à ses interlocuteurs : «Qu’êtes-vous allés voir ?» en d’autre termes: qui est cet homme qui vous a attirés? Qui est Jean Baptiste? Cette question est une réponse à «Qui es-tu Jésus ? Celui que nous attendons vraiment ?» L’identité du prophète ne peut pas se séparer de celle du maître dont il est serviteur. Répondre bien à une des questions nous aide à bien répondre à une autre. Qui suis-je, moi qui annonce Jésus ? Si je perds de vue mon identité de disciple, d’apôtre, … serai-je en mesure d’accomplir ma mission ?
Ne suis-je pas un roseau, c.à.d. celui qui ne résiste pas aux vents, qui n’a pas de courages devant les vents contraires, celui qui a peur de la vérité par peur de ses conséquences, ici la prison et une vie risquée ?
N’ai-je pas l’air de princes, voulant seulement vivre les facilités ? Que fais-je, moi qui suis… prêtre…religieux (se)…fidèle laïc (que)…de l’esprit de détachement des biens, de pauvreté ? Les mots du pape François sur l’esprit de pauvreté sont à redécouvrir !
Suis-je un prophète, celui dont la vie annonce vraiment celui que j’annonce ?
Les scandales et la croissance dans la foi.
Jésus dit qu’il est heureux celui qui ne se scandalise pas de Lui. La manière d’agir peut devenir motif de chute pour tout un chacun, même pour Jean Baptiste. Face aux doutes que nous avons déjà évoqués, il faut changer de vision. Jean Baptiste doit aussi arriver aussi à accepter sa captivité, non seulement en l’envisageant comme une libération, mais aussi comme une communion à la mort qui attend celui dont il est le précurseur. Comme il est bon de voir (moi qui suis faible) un ascète, un saint, un prophète comme Jean Baptiste, invité à grandir dans la foi, invité à ne pas chuter !
C’est donc à une conversion du regard que nous sommes invités. Nous ne voyons pas la présence du royaume de Dieu parce que nous regardons mal : nous cherchons des signes d’une gloire toute terrestre, celle que l’on trouve «dans les palais des rois» ; alors que notre Dieu se révèle dans la pauvreté et l’humilité d’un Enfant, au sein d’une famille de condition modeste.
Comme il est venu pour « guérir les cœurs brisés » (Ps 147, 3), il s’en fait d’emblée solidaire ; aussi est-ce parmi les «petits et les pauvres» (Is 41, 17), et au cœur de nos pauvretés intérieures qu’il faut le chercher : c’est pourquoi «je n’hésiterai pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesse, nous dit Saint Paul, afin que la puissance du Christ habite en moi» (2 Co 12, 9). A tous ceux qui reconnaissent leur indigence, le Seigneur déclare : «Tu mettras ta joie dans le Seigneur, ta fierté dans le Dieu d’Israël. Moi le Seigneur je t’exaucerai ; moi le Dieu d’Israël je ne t’abandonnerai pas» (Is 41, 16-17). En possession d’une telle promesse, «reprenons courage, ne craignons pas» comme nous l’y invite la 1ère lecture. Le Royaume nous a été offert sous forme d‚un germe de vie divine, enfoui dans notre cœur au jour du baptême. Jour après jour, tandis que nous cheminons encore à l’ombre de la mort, au sein de nos doutes et crises, la grâce réalise secrètement en nous son œuvre de transfiguration. Ce n‚est pas en un jour que la semence grandit, mûrit et donne son fruit : comme le cultivateur, il nous faut faire preuve d’«endurance et de patience» en attendant «les produits précieux» issus de «la semence impérissable» (1 P 1, 23) déposée en nous : «la parole vivante de Dieu qui demeure».
«Seigneur, donne-nous de discerner et reconnaître dans la foi les signes de ta présence, pour que nous puissions t’accueillir toujours davantage, jusqu’à ce que ton Esprit remplisse notre vie, comme les eaux recouvrent le fond de la mer (Is 11, 9). Nous arriverons alors à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera nos visages, allégresse et joie nous rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront».