Les premiers épisodes des évangiles de Matthieu et Luc sur l’enfance de Jésus nous donnent déjà le cadre de compréhension de toute la suite. L’annonce des Anges aux bergers dans la nuit de Noël préfigure l’annonce de la Résurrection aux saintes femmes à l’aube de Pâques ; la fuite en Égypte – symbole biblique de la mort – et le meurtre des saints Innocents préfigurent la Passion et la mort de Jésus ; le retour d’Égypte, qui suit le parcours de l’Exode, annonce le retour à la vie du vainqueur de la mort. Quant à l’adoration des rois mages, elle anticipe la fin des temps, si merveilleusement décrite dans les derniers chapitres du prophète Isaïe dont nous avons entendu un extrait en première lecture. Les mages ne s’y sont pas trompés : le petit enfant qu’ils adorent est bien le Roi de gloire, le mystérieux personnage triomphant attendu pour la Parousie, et qui viendra établir pour toujours le règne de Dieu parmi les hommes. Ce jour-là, « la gloire du Seigneur brillera » sur toutes les nations, qui sortiront de « l’obscurité qui recouvre la terre » et s’avanceront vers « la clarté de son aurore » (1ère lecture).
« Les nations marcheront à la lumière de la Cité sainte, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors. La cité n’a pas besoin de la lumière du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et sa source de lumière, c’est l’Agneau » (Ap 21, 24.23). Lorsqu’on se souvient que le terme araméen « talja » signifie à la fois « enfant » ou « agneau », la page d’évangile de ce jour prend un relief tout particulier. L’étoile que ces princes « venus d’Orient ont vu se lever », c’est l’étoile radieuse du matin, le Christ ressuscité, qui illumine tout homme venant en ce monde, afin de le conduire aux sources vives du salut. Il est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs ; à lui seul revient l’or, symbole de la royauté suprême ; il est le grand prêtre, symbolisé par l’encens ; lui seul est digne d’offrir le sacrifice qui nous réconcilie avec Dieu son Père – le sacrifice de sa propre vie offerte par amour, et symbolisé par la myrrhe, baume de grand prix réservé à la sépulture des rois. Le « mystère du Christ » dont parle Saint Paul dans la seconde lecture, est le mystère de l’amour triomphant de toutes nos divisions, nos antagonismes ; de l’amour vainqueur de la haine faisant tomber tous nos murs de séparation ; de l’amour qui rassemble tous les enfants de Dieu dispersés : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ».
L’épiphanie est la fête de l’espérance, parce qu’elle annonce le grand rassemblement de tous les enfants de Dieu sous la bannière de son Christ. Le jour viendra où le combat de la lumière et des ténèbres, de la vérité et du mensonge, de la vie et de la mort cessera. Ce jour-là « la gloire du Seigneur brillera » sur toutes les nations qui sortiront de « l’obscurité qui recouvre la terre » et s’avanceront vers « la clarté de son aurore » (1ère lecture).
Encore faut-il que la flamme de l’espérance ne vacille pas au grand vent de la culture de la mort (politique qui promet l’avortement, l’euthanasie, …) qui étend de plus en plus ses tentacules, cherchant à étouffer les aspirations à la vie, à la paix qui animent les hommes de bonne volonté. A nous chrétiens, incombe la responsabilité de ranimer cette flamme en nos cœurs, afin qu’elle devienne communicative et relance la quête de ceux qui cherchent Dieu sincèrement. Le parcours des mages trace en effet celui de tout pèlerin de l’Absolu. Au départ de toute conversion, il y a toujours un événement, joyeux ou douloureux, qui nous arrache à notre torpeur spirituelle et réveille en nous la nostalgie d’un monde réconcilié ; d’une humanité vivant en harmonie et en paix sous le regard d’un Dieu bienveillant qui désire le bonheur de ses enfants. Mais qui nous sauvera de notre malice, de notre égoïsme, de notre impuissance à aimer ? Où le trouver ?
« En entrant dans la maison, les mages virent l’Enfant avec Marie sa mère ». Cette «maison» représente l’Église. C’est vers elle que nous pousse l’Esprit, car c’est là que nous attend celui que nous cherchons ; c’est là que nous pouvons enfin rencontrer, dans sa Parole et dans ses sacrements, celui dont nous pressentions la présence, celui qui est la source et le terme de notre espérance. « Et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui » : « tel est le sommet de tout l’itinéraire : la rencontre se fait adoration, s’épanouit en un acte de foi et d’amour qui reconnaît en Jésus, né de Marie, le Fils de Dieu fait homme » (Benoît XVI, Cologne 2005).
La démarche n’a pas dû être facile pour les mages – comme pour chacun de nous d’ailleurs. Car ce n’est pas devant un roi glorieux selon notre conception mondaine qu’ils sont invités à se prosterner, mais devant un petit enfant de condition modeste. Ici commence pour eux comme pour nous, un cheminement intérieur qui est sans cesse à reprendre : il nous faut découvrir au fil de l’Évangile que la puissance de ce Roi n’est pas de ce monde ; qu’elle ne se manifeste pas dans un déploiement de force, mais dans la vulnérabilité de sa vie livrée par amour. Sa gloire se révèlera dans l’humiliation d’une mort honteuse, librement consentie ; son pouvoir, dans sa miséricorde qui nous réconcilie avec le Père et nous donne part à sa propre vie dans l’Esprit.
L’Évangile opère une véritable révolution de notre manière spontanée de nous représenter Dieu. Avant de nous prosterner devant l’Enfant divin, il nous faut consentir à une profonde conversion, disons : à un chamboulement de nos valeurs. Ce n’est qu’au prix d’un changement radical de notre regard sur les situations, les événements, les personnes, que nous pourrons reconnaître en cet Enfant le don de Dieu qui surpasse toutes nos espérances, l’Agneau doux et humble de cœur qui nous ouvre le chemin de la vraie vie.
« Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » : ils étaient venus en suivant l’étoile des prophéties de la première Alliance qui les a conduits jusqu’à l’Enfant. Mais au retour, ils n’ont plus besoin de cette étoile : désormais la Parole vivante, le Christ, était en eux, la lumière de son Esprit était leur flambeau, « la gloire du Seigneur s’est levée sur eux » (1ère lecture). Ou pour le dire avec les paroles que Saint Paul utilise dans la seconde lecture: la « grâce que Dieu leur a donnée, c’est de leur faire connaître, par la révélation de l’Esprit, le mystère du Christ ».
Le Bienheureux pape jean Paul II disait : « Souvenons-nous frères et sœurs, que tous nous avons reçu cette connaissance, c’est-à-dire cette configuration au Christ qui nous le fait connaître en participant à sa vie dans l’Esprit. Demandons au Seigneur de nous renouveler dans ce don ineffable, et offrons-lui en retour « l’or de notre liberté, l’encens de notre prière ardente, et la myrrhe de notre affection la plus profonde ».
« Aujourd’hui Seigneur, tu as révélé ton Fils unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait ; daigne nous accorder, à nous qui te connaissons déjà par la foi, d’être conduits jusqu’à la claire vision de ta splendeur. Par Jésus le Christ notre Seigneur »