Nous voici maintenant au début de l’étape décisive de notre cheminement du Carême que je vous décrivais au deuxième dimanche (clic pour relire la méditation). Chaque dimanche des Rameaux, la liturgie s’ouvre par la lecture de l’évangile qui relate l’entrée de Jésus à Jérusalem suivie d’une procession jusque dans l’église. L’Evangile que nous lisons juste au début de cette procession met en valeur d’une façon toute particulière le titre de « Fils de David » appliqué à Jésus. Par ce titre messianique, Jésus se voit ainsi désigné comme ce roi juste et victorieux qu’attendait tout Israël et qui devait restaurer la cité sainte de Jérusalem. L’atmosphère qui ressort du récit est joyeuse et festive et derrière les chants d’acclamations qui accompagnent cette procession s’annonce déjà le triomphe définitif du Christ sur la mort et le péché durant la nuit pascale. L’espérance d’être sauvés et de ressusciter avec lui pour vivre dans la Patrie céleste de sa vie divine se trouve ainsi mise devant nos yeux.
Ce roi qui entre à Jérusalem, est humble et pacifique. Il ne veut régner que sur des cœurs humbles et pacifiques.
HUMBLES, c.à.d. si nous sommes capables d’écouter les autres, de nous défier de notre propre jugement souvent égoïste, de reconnaître la part de vérité qui anime les convictions de l’autre, de nous estimer plus petits devant Dieu ;
PACIFIQUES, non pour avoir la paix à tout prix, car on risque de démissionner devant tout ce qui dérange et se contenter seulement des compromis, mais décider de créer autour de moi des conditions pour une vraie paix dans les cœurs, au travail, en famille, … même si cela devrait me rendre impopulaire. En effet, Jésus souffrira du fait qu’il a pris l’option, au moins au niveau humain, de dénoncer les injustices faites aux pauvres, aux marginalisés de la société.
Mais si la première partie de la liturgie de ce dimanche laisse apparaître le terme qui nous attend au-delà de cette vie terrestre marquée par la souffrance et le péché, la liturgie eucharistique, en particulier au travers de ses lectures, nous rappelle les conditions nécessaires pour y parvenir. Saint Bernard exprime bien cela lorsqu’il dit que si la gloire céleste se trouve présentée dans la procession, dans la messe se trouve manifestée quelle route nous devrons emprunter pour la posséder. Cette route que nous pouvons contempler dans la personne même du Christ est celle de l’abaissement et de l’humilité, celle de l’obéissance filiale, de l’abandon entre les mains du Père, celle du don total par amour, jusqu’à mourir sur la croix. Dans l’Ecriture, l’hymne de l’épître aux Philippiens est peut-être le passage qui nous décrit cela de la façon la plus aboutie : «Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix». Saint Paul n’a pas trouvé autre chose pour conseiller les membres de la communauté à laquelle il écrit, qui était tombé dans des divisions, des revendications, du mépris à l’égard de certaines personnes. Il invite à contempler l’attitude du Christ. Cela suffisait, cela suffit même de nos jours.
Oui, Jésus est bien le Messie – Serviteur souffrant, annoncé par le prophète Isaïe, qui ne s’est pas révolté, qui ne s’est pas dérobé ; qui a présenté son dos à ceux qui le frappaient, et ses joues à ceux qui lui arrachaient la barbe ; qui n’a pas protégé son visage des outrages et des crachats, avons-nous médité dans la 1ère lecture. Mais c’est par ses souffrances que nous sommes sauvés, souffrances qui ne sont que le prolongement de son acte d’obéissance parfaite au Jardin des Oliviers. Car c’est bien là que se joue notre salut. En communiant humainement à la volonté divine du Père, Jésus rétablit notre nature humaine dans une relation filiale avec le Père, filiation qui avait précisément été refusée dans l’acte même du péché originel. En choisissant d’entrer dans sa Passion et de la vivre jusqu’au bout, il exprime son abandon total entre les mains de son Père. Par le «oui» qu’il donne humainement à un moment où la délibération de tout homme serait infléchie au maximum vers le refus, Jésus nous sauve en accomplissant dans une nature humaine l’existence filiale parfaite. Nous touchons ici le paradoxe de tous les paradoxes. Comment, le Fils de Dieu pourrait-il nous sauver au travers d’une telle vulnérabilité? Le récit de la Passion de l’évangile de Matthieu décrit bien cela en dépeignant le drame de l’incompréhension du peuple d’Israël qui ne peut se résoudre à ce que celui qui se déclare le Messie, Fils de Dieu, puisse se présenter dans une telle condition d’abaissement. Nous savons que le Christ est ressuscité au moment où nous écoutons cet Evangile de Matthieu. Lui même l’a écrit après la résurrection, non pour nous donner une chronique juridique, il donne beaucoup de passages bibliques pour nous montrer que c’est Dieu qui conduit le cours de l’Histoire, malgré les événements puissent nous faire croire le contraire, quand nous sommes submergés par la souffrance. C’est l’image qui nous est donnée du Christ pendant le récit de la passion.
Alors que tout semble manifester un échec de celui qui a été acclamé comme le roi messie, son triomphe s’accomplit. Au milieu de l’obscurité de sa Passion, au moment de la crucifixion, les signes eschatologiques du monde nouveau en train de naître ne trompent pas : la terre tremble, le rideau du Temple se déchire, les sépulcres s’ouvrent… La Nouvelle Alliance vient d’être scellée dans le sang du Christ. Il est important de nous rappeler que Matthieu écrit pour des chrétiens issus du Judaïsme qui se retrouvent face à la même incompréhension que celle devant laquelle se trouva le Seigneur et qui le conduisit jusqu’à la mort. L’évangéliste veut leur montrer qu’ils ne vivent ni plus ni moins que ce que le Maître lui-même vécut mais que dans le présent de leur vie pointent déjà les signes du monde nouveau.
Ce message, nous pouvons le faire nôtre. Tout d’abord, en prenant conscience que nous sommes tous plus ou moins incapables d’interpréter correctement la croix chaque fois qu’elle se présente à nous. Mais, en même temps, Matthieu nous redit que chaque fois que nous accueillons dans la foi l’expérience de la béatitude des persécutés, nous renforçons notre décision de marcher à la suite du Christ. C’est ici que nous sommes renvoyés à notre attachement au Christ, lui que nous reconnaissons et que nous acclamons comme notre Roi, notre Sauveur, notre Rédempteur. Au cours du récit de la passion, le fait de citer 40 fois le Nom de Jésus (YEHOSHUAH=Dieu sauve) montre que s’accomplit ainsi le projet de Dieu, malgré que les apparences pourraient nous détourner de cela. Notre attitude devant la croix, lorsqu’elle se propose à nous, sera révélatrice de ce que représentent pour nous ces titres que nous lui attribuons. Car suivre le Roi d’humilité implique d’avancer sur le chemin de l’amour et du don total de soi. Sans prétendre y arriver tout de suite, nous ne devons pourtant pas perdre de vue cette finalité et prendre les moyens pour la rejoindre. Il s’agit de cheminer, « les yeux fixés sur Jésus-Christ et entrer dans le combat de Dieu », répétions-nous à la prière des laudes du Carême. Les textes de ce jour nous apprennent que le plus fondamental peut-être c’est d’entrer toujours davantage dans la même intimité, la même communion de volonté avec le Père que celle de Jésus. Invitation à prier toujours plus et toujours plus intensément. C’est, en effet, dans la prière seule, comme Jésus à Gethsémani, que nous trouverons la force de choisir et non pas de subir nos croix dans le don total de nous-mêmes. L’enjeu est de taille car c’est ici que se joue l’avènement du Royaume de Dieu.
«Seigneur, fais-nous la grâce, durant cette semaine sainte, d’être renouvelés dans notre attachement à ta personne. Fais-nous la grâce de savoir te contempler et t’écouter dans ta Passion, t’écouter parler à notre cœur, t’écouter nous dire : Tu comptes beaucoup pour moi».