L’annonce d’un roi ou d’un dirigeant humble et pacifique que nous avons écouté dans la parole de Dieu de ce jour est aujourd’hui encore tellement contraire aux mentalités dominantes que seul les « tout-petits » peuvent la comprendre, « ceux à qui Dieu veut bien le révéler ». Leur cœur est bien libre de toute cupidité, prétentions humaines, puisqu’ils sont sans mérites. Matthieu affirme alors que c’est à ceux-là que s’adresse l’appel de Jésus, lui qui est « doux et humble de cœur » et qui récuse toute velléité de puissance. Ainsi l’idéal chrétien se situe aux antipodes de tout esprit élitiste et aristocratique. Jésus inaugure donc, avec sa venue, une nouvelle mentalité de voir les choses. Il nous en donne lui-même l’exemple.
L’expression « en ce temps-là » est une formule habituelle du lectionnaire et qui n’est pas souvent comprise dans le texte original. Pour cette occasion, on le trouve bel et bien dans le texte de Matthieu. Quel est alors ce temps? Au parcours de ce qui est rapporté par le chapitre 11 et qui précède cet épisode, il s’agit d’un temps dramatique d’incompréhensions et d’échec.
En effet, Matthieu parle du doute de Jean Baptiste qui croupit dans la prison de Machéronte et qui envoie ses disciples à Jésus pour qu’ils s’assurent si c’est vraiment lui le libérateur attendu, et par conséquent, qui vient pour le libérer de la prison: es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? Ensuite, Jésus lui-même décrit la façon dont ses contemporains ont rejeté à la fois Jean « l’ascète et l’austère » et Jésus lui-même qui invite à la joie et la fête. C’est Jésus même qui condamne les villes des bords du lac de Tibériade qui n’ont pas accueilli ses gestes, ses miracles et son message.
Après tout cela, voici que Jésus prend la parole et loue son Père. Beaucoup parmi nous, dans des situations pareilles, sombreraient dans la déception et le découragement. Or, voici que c’est un hymne de Jubilation qui jaillit des lèvres de Jésus. Et c’est ici le secret de Jésus! Quel est donc ce secret? Comment pouvons-nous entrer dans ce secret? Avec quelles dispositions d’esprit? Il nous faut certainement un changement de perspective, un changement de point de vue par rapport à la façon nous envisageons l’action de Dieu. Les lectures que nous sont proposées aujourd’hui nous donnent quelques pistes.
Un changement de perspective nous vient de la première lecture. Le prophète Zacharie annonce les temps messianiques d’une façon différente à celles des attentes d’Israël. La victoire d’Alexandre le Grand à la bataille d’Issus en 333 qui inaugure l’effondrement de l’empire perse dont la Palestine était devenue une COLONIE réveille les espérances messianiques du peuple de Dieu. Pourtant, le prophète Zacharie se démarque de l’esprit guerrier du nouveau conquérant et annonce un Messie qui entrera dans Jérusalem sans violence, sur la monture des anciens rois de Judée; celui-là fera régner la justice et la paix. Cette paix sera donc un don et non une conquête des armes et au prix du sang.
C’est Jésus qui réalisera pleinement cette prophétie par sa vie toujours au service des pauvres, des marginalisés, des oubliés de la société. Cette préférence de Dieu est-elle alors manifestation de partialité? Certainement pas!!! Dieu a toujours demandé à son peuple de lui faire totalement confiance et ne pas se fier aux conquêtes comme il en est le cas dans la première lecture. Ce comportement de Dieu est une leçon donnée à nous pour que nous n’ayons aucune prétention envers lui. En effet, on pourrait être porté à penser que nos réussites dépendent de notre fidélité à la prière, à la pratique sacramentelle, de nos efforts… et oublier la logique de la gratuité de Dieu.
Dans l’épisode que nous avons lu, il faut noter que Jésus ne dit pas que les pauvres et les sont meilleurs. Au contraire, il attribue tout à la bienveillance divine: « oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté. » Parce que ces derniers sont déshérités, ont subi des échecs dans la vie,, ploient sous le poids des péchés (peut-être mêmes publics),… et donc n’ont rien à faire valoir devant Dieu, ils sont prêts à se faire relever et comme ça attirent ma bonté du Père. C’est donc une pensée constante de Jésus: moi le pécheur, toi le laissé pour compte, toi qui a essuyé un échec dans ta vie matrimoniale,… te rends-tu compte que le Père de Jésus te regarde avec un amour particulier? « Venez à moi vous tous qui peinez, je vous procurerai le repos », nous dit-il.
La question qui se pose est pertinente et mérite d’être répondue : « comment Celui qui appelle ceux qui peinent sous le poids du fardeau peut-il, en même temps, les inviter à prendre à nouveau un joug ? » Car enfin, notre nature humaine pourrait avoir tendance à faire deux objections au Seigneur.
D’une part, et je pense ici à bien des membres de nos familles, à tant de personnes aussi qui sont ce matin devant leur téléviseur, la vie nous réserve déjà bien des jougs difficiles à porter. Pensons à tous ceux qui doivent faire face à des difficultés professionnelles, à des tensions familiales, à la maladie, au deuil. Quel est-il donc ce joug qu’il faudrait ajouter à la liste de ceux que nous portons déjà ? C’est une question dans laquelle nous pouvons tous nous retrouver, parce que nous faisons tous, un jour ou l’autre, l’expérience de l’épreuve.
Et puis, il y a une deuxième objection. Le joug est aussi lié à la contrainte. Or, l’évolution de notre société depuis quelques décennies, a engendré des mentalités nouvelles qui ont souvent du mal à accepter ce qui est contraignant. Quoi qu’il en soit, la vie de l’Église est directement touchée par cette question : la pratique régulière de l’Eucharistie, l’engagement à donner une éducation chrétienne aux enfants, la préparation aux différents sacrements sont fréquemment considérés comme des contraintes. Si nous avons tendance à envisager les choses sous cet angle, nous risquons de nous dire : « Sommes-nous donc invités à prendre le joug du Seigneur comme une contrainte supplémentaire ? »
Alors, que veut-donc dire Jésus ? De nous-mêmes, nous pouvons avoir quelques difficultés à répondre, mais saint Paul nous met sur la voie : « Le joug du Christ c’est… l’emprise de l’Esprit. » Et cette emprise, loin d’être un poids contraignant, consiste à nous faire entrer dans une intimité grandissante avec le Seigneur. Par l’Esprit qui nous est donné, Dieu se révèle à nous. Ou, si vous préférez, l’Esprit est un don qui nous est fait pour que de notre côté, comme en réponse, nous puissions faire l’expérience concrète de Dieu dans notre vie.
Tentons une illustration : le cas d’un vitrail. On peut le regarder de l’extérieur. On voit de vagues dessins ou des couleurs, mais ils n’ont pas vraiment d’intensité. De l’extérieur, les vitraux ne révèlent pas grand-chose. Et il ne sert à rien de les éclairer plus intensément. Eh bien avec Dieu, c’est pareil : si nous cherchons à le comprendre en restant à l’extérieur, nous n’en saisirons que peu de choses. En revanche, si nous acceptons d’entrer dans l’expérience de Dieu, nous gouterons son Mystère.
C’est comme avec le vitrail : acceptez d’entrer, contemplez-le de l’intérieur et le soleil vous révèlera ce que vous ne soupçonniez absolument pas jusque-là. De la même manière, l’Esprit Saint, lorsque nous l’accueillons, nous révèle ce que nous ne soupçonnerions vraiment pas de Dieu. Le joug facile à porter, c’est l’entrée dans cette intimité.
« Dieu de tendresse, par Jésus ton Fils, tu nous a montré ton visage de Père. Qu’à ton image, nous devenions doux et humbles de cœur pour annoncer ton Royaume aux siècles des siècles. Avec la lumière de ton Esprit, donne-nous la richesse des pauvres et la force des petits. Fais briller sur nous Seigneur, la clarté de ton visage. Amen.»
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