Chers amis,
Le Seigneur continue pour ce dimanche consécutif à nous parler en paraboles, comme il l’a fait le dimanche passé et comme il le fera aussi dimanche prochain. La parabole du bon grain et de l’ivraie met en relief la sagesse et la patience de Dieu. Non, il ne veut pas que ses ouvriers aillent arracher dès maintenant la mauvaise herbe! C’est aussi à la clémence et à la longanimité de Dieu que conclut le sage qui s’exprime dans la première lecture. Le Seigneur maîtrise sa force et juge avec une sereine équité. Par là, il apprend à son peuple et à nous à « être humain ». Exaltant la patience de Dieu, les auteurs inspirés veulent dénoncer simultanément nos excès de zèle et notre incorrigible propension à exclure et à condamner. Notre bonne volonté de servir le bien ne doit pas devenir une barrière discriminatoire. Evidemment, avec humour, Jésus nous invite à assumer avec réalisme notre condition historique: tous ensemble, nous formons un champ extraordinairement mêlé. Mettons-nous à l’écoute de ces paraboles.
Nous savons que le but des paraboles est de nous faire entrer dans la connaissance des mystères du Royaume, connaissance qui ne désigne pas une plus grande évidence intellectuelle du Royaume (comme nous le disions en ce dimanche), mais une perception intérieure de sa présence active dans le monde. En ce sens, que nous révèlent ces paraboles sur l’action du Royaume dans chacune de nos vies ?« Il en est du Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, son ennemi est venu, il a semé à son tour l’ivraie, au beau milieu du blé et il s’en est allé ». ATTENTION! Il y a deux manières de faire l’œuvre du démon : trop en parler si bien qu’on ne pense plus qu’à lui en oubliant que Dieu est le centre de notre vie, mais aussi croire qu’il n’existe pas, qu’il n’agit pas si bien qu’on lui laisse les mains libres pour semer l’ivraie dans notre champ : « pendant que les gens dormaient ».
La parabole nous montre qu’il entre alors en action à deux niveaux. Tout d’abord, directement. Il sème de l’ivraie au milieu du bon grain et crée la confusion entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Face à cette situation de confusion, les directives de Jésus sont claires : « Laissez-les pousser ensemble, de peur qu’en enlevant l’ivraie vous n’arrachiez le bon grain ». Le bon grain et l’ivraie en herbe se ressemblent tellement que nous risquerions de nous méprendre : ce qui apparaît comme de l’ivraie dans les premiers signes de sa manifestation, pourrait bien porter du bon fruit au terme de sa croissance.
En tout cas, l’ivraie est tellement imbriquée dans le bon grain, qu’en voulant enlever l’un, on arracherait l’autre. Ici, Jésus nous met ainsi en garde contre la deuxième manière dont le démon peut nous tenter après avoir jeté la confusion entre le bon grain et l’ivraie: Induire dans notre cœur l’illusion de croire que nous pouvons nous-mêmes, à la lumière de notre propre intelligence, discerner de façon définitive ce qui est bon de ce qui est mauvais, c’est-à-dire que nous pouvons être juge de nos frères et de nous-mêmes, que nous pouvons être juges de la moisson c’est-à-dire de l’œuvre de Dieu dans les cœurs, en définitive, que nous pouvons juger Dieu puisque entre Dieu et son œuvre c’est tout un.
Le piège ici n’est pas de prétendre juger entre le bien et le mal puisque l’ivraie n’est pas du bon grain, et le bon grain ne saurait se confondre avec l’ivraie. Déjà la différence entre le bien et le mal se dégage même dès l’origine: les deux semeurs ne sont pas à égalité. L’un sème en plein jour, l’autre le fait « de nuit » en profitant de l’inattention des gens. Comme il nous est beau d’entendre cela Seigneur. C’est Toi Seigneur qui me dis que le mal qui est en moi et dans les autres n’est pas ton véritable visage, toi qui sèmes en plein jour. Tu me dis qu’il se glisse presqu’à mon insu. Ainsi tu m’invites à la vigilance.
Le véritable piège consiste alors à prétendre juger du bien et du mal de notre point de vue purement humain, c’est-à-dire d’une façon définitive et clôturante à un instant donné, sans rémission aucune, enfermant l’autre ou soi-même dans sa faute sans possibilité aucune de changer. Autrement dit, en faisant l’impasse totale sur la miséricorde divine qui agit dans la durée et n’enferme jamais personne dans les actes qu’il a posés à un moment donné de sa vie.
La patience de Dieu est un des aspects les plus déconcertants de la miséricorde: » ta force est l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose. […] Toi Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance », lisons-nous dans la 1ère lecture. Le Seigneur croit en nous, il espère en nous : « Par ton exemple, tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain, et tu as pénétré tes fils d’une belle espérance : à ceux qui ont péché, tu accordes la conversion ». Il me vient en tête un refrain du credo en français qui dit ainsi: » Je crois en Dieu qui croit en l’homme ». Très beau! Dieu nous aime non pas malgré notre malice et notre aveuglement, mais à cause d’eux, c’est-à-dire : en proportion de notre misère.
Certes, l’ivraie n’entrera pas dans le Royaume; ce n’est qu’à la moisson, c’est-à-dire quand le bon grain sera définitivement à l’abri, qu’elle sera arrachée et brûlée. Car ce n’est qu’au terme d’une vie qu’on peut en faire le bilan et encore : pas à la lumière de nos critères humains, à la lumière de ce que l’Esprit seul peut révéler, lui qui connaît le fond des cœurs, comme nous l’avons entendu dans la 2ème lecture. C’est donc la décision du « Maître du champ » de les laisser pousser ensemble jusqu’à la moisson, jusqu’au jugement que Lui-même se réserve. En attendant, il nous révèle sa patience. Suis-je conscient que j’en bénéficie moi-même, moi au cœur dont les racines de blé et d’ivraie sont nouées ensemble? Suis-je aussi conscient qu’il y aura un jugement à la fin, et en tenir compte dans ce que je fais? Dans l’explication de la parabole, Jésus précise bien que ce ne sont pas les serviteurs qui moissonnent mais les Anges de Dieu.
Laissons donc le temps et la grâce faire leur œuvre. La graine du Royaume, (une seule!) minuscule aux yeux des hommes, à vrai dire à peine perceptible pousse dans le secret des cœurs. Mystérieusement, le levain du Royaume se diffuse dans la pâte humaine et la travaille au plus profond. Même si nous ne percevons pas de changement spectaculaire, il fait pourtant insensiblement lever la pâte. La moisson aura bel et bien lieu, dit le Maître avec un bel optimisme, certain des réjouisssances futures des moissonneurs. Reste à calmer notre impatience et à laisser le semeur lui-même opérer le tri que nous prétendons faire avant l’heure, à sa place.
Voilà le lieu de notre combat : la foi en l’action cachée du Royaume dans la durée. Ne laissons pas ici sommeiller notre foi. Pendant ce sommeil risquerait fort bien d’intervenir le Malin. Notre manière de contribuer à l’avènement du Royaume c’est précisément de rester vigilant dans cette foi.
[…] Dans l’attente de la moisson, mettons-nous à l’école de la patience et "l’h… […]
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