Le poème d’Isaïe pour la vigne de son ami sonne comme une histoire d’amour qui s’inverse soudain en un douloureux réquisitoire. Amer et déçu, le vigneron prend le peuple à témoin du différend qui l’oppose à son épouse : il attendait de bons fruits mais hélas. La parabole de Matthieu cite Isaïe pour évoquer elle aussi, une vigne et son propriétaire, avec une note de Jésus qui y ajoute des travailleurs qui confisquent les fruits de la vigne. Cet avertissement concerne d’abord les conditions d’accès au Royaume de Dieu. Il peut se rapporter aussi à notre responsabilité à l’égard de créations tout entière qui est comme le vignoble de l’humanité. La tentation n’est-elle pas grande pour les pays riches comme pour nous mêmes, d’accaparer et faire nôtre ce qui ne nous appartient pas et qui devait être partagé ? Mettons-nous à l’écoute de cette parole de Dieu.
La première interpellation de Jésus concerne l’écoute. Combien de fois nous sommes impatiens à l’écoute ? Une personne n’a pas encore commencé à parler, nous voici en train de préparer le brouillon de la réponse… Notre temps risque de rétrécir le champ de l’écoute, avec les flux d’informations qui nous assaillent. Jésus nous demande un instant d’attention pour qu’il nous présente une vérité essentielle. Jésus nous parle en plusieurs circonstances de notre vie : dans sa parole, à travers cette personne qui voudrait se confier à moi, … Sommes-nous disposés à écouter ? Malheur à nous, surtout que la parabole ne parle pas seulement de la vigne, mais aussi des travailleurs de la vigne. Avant de nous la confier, c’est le maître qui a tout fait, il a pris tout son temps pour sa vigne. Ce n’est qu’après qu’il la confie aux autres desquels il s’éloigne, parce qu’il les estime libres et responsables. L’enjeu est de reconnaître le moment de la vendange : il ne peut ni être anticipé sous peine de récolter des fruits verts, ni renvoyer à plus tard sans risque de pourriture des fruits. Pensons seulement aux tomates ! C’est pour cela qu’il faut un peu d’attention pour ECOUTER.
A la différence de la première lecture du livre d’Isaïe, dans la parabole de l’évangile, Jésus, au lieu de s’arrêter sur les fruits mauvais que la vigne porte, insiste sur l’attitude des vignerons à qui le maître en confie l’entretien. Si l’attention du propriétaire pour sa vigne est toujours aussi présente, ici ce sont les ouvriers qui ne produisent pas le fruit attendu de la part de leur patron. Par deux fois, ils maltraitent les serviteurs, refusant de remettre la récolte et vont jusqu’à tuer son propre fils qu’il envoie en dernier recours. C’est en fait autour de cette figure du « fils » que se noue le drame de l’histoire et que se trouve la fine pointe de l’enseignement de Jésus. En envoyant son « fils », le maître ne se présente plus comme « propriétaire » mais comme « père » et en tant que tel digne de respect. Ayant perçu la révolte de ces vignerons, il espère que son fils arrivera à les réconcilier avec lui et qu’un dialogue pour être renoué. Mais en vain. Les ouvriers ne reconnaissent pas le fils et voient en lui seulement l’héritier. Leur meurtre va alors dévoiler au grand jour quelle était la raison de leurs malversations antérieures : ils ont eu peur de se voir enlever la récolte. Leur cupidité les a aveuglés, leur empêchant de discerner le fils et à travers lui la bonté du père. La soif de l’avoir et du pouvoir les a conduit à entrer dans une logique de violence et de mort.
Les textes de ce dimanche nous invitent à réfléchir sur les dons que Dieu nous a faits tout au long de notre vie. Parfois, nous percevons mieux combien le temps passe et combien notre vie vieillit avec nous, et lorsque nous voulons faire le bilan des fruits que notre vie a portés, les résultats sont souvent peu probants. Que s’est-il passé ? Avons-nous fait fructifier avec intelligence et bonne volonté les talents reçus ? Ou bien avons-nous vécu comme une vigne distraite sans nous rendre compte que nous étions appelés à produire un beau raisin ? Ou bien encore, avons-nous vécu comme de mauvais vignerons qui pensaient plus à eux qu’à l’amour de leur employeur pour sa vigne ? Nous avons reçu beaucoup de Dieu en ce que nous sommes (une vigne belle par sa création et entretenue par sa providence comme nous le lisons dans la 1ère lecture) et en ce qui nous est confié (Une vigne où nous avons à œuvrer tel que raconté dans l’Evangile). Dans les deux cas, nous sommes invités à produire un fruit de vie éternelle, de sainteté et de charité.
Lorsque Jésus arrive à ce point de son récit, il interpelle ses auditeurs : « Et bien, quand le maître viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » La réponse ne se fait pas attendre : C’est la punition qui doit prévaloir jusqu’à les faire périr, qui plus est « misérablement ». Autrement dit, pas de pitié et la vigne se verra confiée à d’autres vignerons mieux intentionnés. Mais nous sommes toujours dans une logique de mort. D’ailleurs, pas un mot dans cette réponse au sujet du « fils ». Les auditeurs de Jésus l’auraient-ils oublié ? Serait-il mort pour eux aussi ?
Pour Jésus, l’histoire ne peut se finir ainsi. Il s’agit d’une histoire divine et non humaine. Quel serait ce père qui risquerait d’envoyer son fils en un lieu aussi dangereux ? Ce maître serait-il vraiment père s’il faisait si peu de cas de son fils ? La mort du fils ne saurait être le dernier mot, pas plus que la vengeance suggérée par les auditeurs. Le maître va tout au contraire se servir de la perversion des vignerons pour révéler que sa paternité est plus puissante que la mort infligée au fils. C’est la vie qui doit avoir le dernier mot. Au sein d’Israël, le refus de certains d’accueillir son Fils, permettra à notre Père céleste de révéler la toute-puissance de sa miséricorde, en construisant le Royaume sur la pierre rejetée, choisie comme pierre d’angle : « C’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille à nos yeux ! » Comme le Père a envoyé son Fils dans le monde pour réaliser sa mission rédemptrice, de la même manière, le Christ nous envoie pour collaborer à son œuvre de Rédemption. Il est vrai que les fruits de notre sarment ne sont pas toujours immédiats ou visibles mais nous ne pouvons douter que si nous restons unis au Christ comme le sarment uni au cep, nous porterons un fruit qui demeure. Produire ainsi du fruit c’est rendre gloire à Dieu parce que c’est contribuer à la croissance de son Royaume de justice, de paix et de miséricorde.
« Seigneur, la mission que tu nous confie dans l’histoire du salut n’est pas banale. Aide-nous à cultiver avec soin notre vigne pour qu’elle puisse produire un raisin doux et comestible pour nos frères afin qu’ils découvrent ta bonté, toi le maître de la vigne et le Seigneur de la Vie. »