La parabole de Jonas met en valeur le repentir immédiat des habitants de Ninive. De son côté, l’apôtre Paul avertit les chrétiens de Corinthe que leur conversion ne souffre pas d’être ajournée, puisque le temps est limité et que ce monde passe. La double scène de vocation rapportée par l’évangile de Marc s’inscrit dans ce même climat d’urgence. Phrases brèves, abruptes, qui traduisent une exigence radicale : le disciple comprend qu’il lui faut quitter sur-le-champ sa profession et sa famille. Aujourd’hui encore, des hommes et des femmes acceptent de se vouer corps et âme à la tâche qu’ils ont librement choisie en réponse à un appel de Dieu. Ceux-là sont prêts à quitter tout ce qui s’avère incompatible avec le don qu’ils ont fait d’eux-mêmes.
Visitant la Parole de Dieu, les trois lectures de la liturgie de ce jour sont traversées par une urgence : Jonas proclame que Ninive sera détruite si elle ne se convertit pas dans les plus brefs délais. Saint Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe que « le temps est limité, car ce monde tel que nous le voyons est en train de passer » ; en d’autres termes : demeurons libres de toute attache afin d’être prêts à partir à chaque instant. Le Psalmiste demande à Dieu de lui « enseigner ses voies, de lui faire connaître sa route, de lui montrer son chemin », témoignant par cette triple insistance qu’il n’attend qu’un signe pour prendre le départ. Le crescendo au fil des lectures culmine dans l’Evangile, aussi est-ce à partir de lui que nous approfondirons cette liturgie de la Parole.
Le Baptiste est arrêté ; il n’est pas prudent de rester en Judée : Jésus rentre dans sa Galilée natale. Il va centrer son activité sur les bords du lac de Génésareth, plus précisément sur la rive nord-ouest. La Galilée des nations est le lieu privilégié de l’activité de Jésus ; il ne la quittera que pour vivre sa Passion à Jérusalem. Puis au matin de Pâques, c’est à nouveau dans cette région ouverte sur le monde, que le Ressuscité donnera rendez-vous à ses disciples (Mc 16, 7). Cette Galilée des nations, terre des païens, devait susciter en nous certaines attitudes. Il s’agit d’une terre marginale, éloignée de la ville sainte. L’éloignement n’est pas seulement géographique, mais aussi religieuse, vue son histoire des invasions assyriennes qui avaient entrainé un mélange des peuples, avec les païens qui y habitaient. Là où on ne s’attend rien de bon/beau, c’est là que Jésus livre d’abord son message de salut : le royaume de Dieu est parmi vous. Dès le départ, l’Eglise est donc appelée à fréquenter les périphéries existentielles. En choisissant de prêcher «en Galilée des païens», Jésus fait un acte missionnaire : il cherche le contact… Et Marc souligne cette option, lui qui écrivait son évangile à Rome, dans la mouvance de Pierre, et pour des convertis venus du paganisme.
Ne nous arrive-t-il pas, au contraire, de nous enfermer dans nos milieux chrétiens, de redouter le contact du «monde», de vivre en ghetto ? Jésus, lui, allait au devant du monde à évangéliser… cherchait les lieux où il pourrait rencontrer l’étranger, celui qui ne pense pas comme nous, le «païen». Ne nous arrive-t-il pas de classer ces personnes qui ne sont pas, ne pensent pas comme nous ? Sommes-nous vraiment catholiques? Et ces personnes, n’ont-elles pas été jadis nos ennemis ? Dans la 1ère lecture, Jonas est envoyé vers Ninive, capitale de l’empire assyrien qui a fait souffrir tant le peuple israélite, cette ville symbole même du monde païen, endurci, loin de Dieu. Jonas y proclame une seule journée et les Ninivites se convertissent. ATTENTION ! Ce n’est pas Dieu qui s’en étonne, mais Jonas, et donc derrière lui, le peuple élu qui, même au temps de Jésus, ne digérera pas qu’il s’adresse aux pécheurs, aux publicains, aux païens. Ne pensons pas que nous sommes très différents en ceci!! Point d’illusions!
Jonas arrive à Ninive après avoir fait un parcours de conversion, mais une conversion non encore mûre. Le message du livre de Jonas est claire : tout le monde peut changer, se convertir et cela est l’œuvre de la miséricorde de Dieu qui s’étend à tous sans exception. Notre conversion n’est pas alors et seulement le fait de nous détourner des péchés pour ne plus les commettre. Il nous est même presque impossible, au moins pour moi qui suis entrain d’écrire. Il s’agit plutôt d’élargir notre vision, pour épouser celle de Dieu. Il faut nous libérer de l’image que nous avons de Dieu. Pour cela, il faut l’écouter, il faut nous mettre en chemin derrière Celui qu’il nous a envoyé afin d’apprendre de Lui. Il faut chaque fois accepter de quitter nos positions, nos conceptions figées : ce n’est pas pour rien que Jésus sera un Maître itinérant !! Suivons-le et écoutons sa proclamation.
L’évangéliste précise d’emblée que la proclamation faite par Jésus est une « Bonne Nouvelle » venant de la part « de Dieu ». Le résumé de sa prédication se résume en deux sentences : « Les temps (kairos) sont accomplis », c’est-à-dire le temps de l’attente est terminé, le bon moment, l’heureux événement que vous attendiez, est enfin arrivé. « Le Règne de Dieu est tout proche » : voilà le message de grâce que Jésus est venu apporter aux hommes. «Convertissez-vous » ; ou encore : « tournez-vous vers la réalité nouvelle qui s’annonce, fût-ce au prix de ruptures avec le monde ancien, voué à disparaître. Et : « croyez à la Bonne Nouvelle » ; s’il s’agit de « croire », c’est donc que la venue du Règne, ne s’impose pas avec l’évidence d’une réalité sensible. Il faudra discerner son avènement aux signes que Jésus en donne, et adhérer à la nouveauté radicale qui s’annonce dans le secret. Ce qui suppose de se tenir à proximité du Maître, de l’écouter, de l’observer, d’épier ses moindres faits et gestes, afin de ne pas gâcher cette occasion unique de réintégrer le dessein de Dieu au-delà de la fracture du péché, qui nous avait aliénés de notre condition filiale.Vue l’importance de l’enjeu, il n’y a pas de temps à perdre, car « il est limité ».
Sans transition, Saint Marc nous invite-t-il à emboîter le pas au Rabbi qui commence sa vie itinérante. Sa première initiative consiste à former le noyau du futur groupe de ses disciples. Première surprise : contrairement à la tradition, c’est le Maître qui appelle ses disciples. De plus, il ne les choisit pas dans le cercle des scribes ou autres spécialistes de la Loi qui résident à Jérusalem, mais parmi les pécheurs du lac de Galilée. Notons qu’il les choisit en couple. La suite du Christ est un effet un cheminement communautaire avec Jésus au centre. Ceci nous exige de développer une capacité relationnelle qui constitue la maturité humaine et qui est souvent oublié par un faux spiritualisme : « moi et mon Dieu, tout est au fixe. Je ne fais du tort à personne, je ne me mêle pas dans les affaires d’autrui,… ».
Avons-nous encore une telle disponibilité ? La seconde lecture veut nous aider à répondre à cette question en nous proposant un examen de conscience sur la manière dont nous réagissons aux événements qui nous affectent, sur notre attachement aux biens de ce monde, voire même sur nos relations avec nos proches : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ » (1 Co 3, 22-23).
L’appel des premiers disciples constitue l’action inaugurale du ministère public de Jésus, qui résume toute sa mission : Notre-Seigneur est venu nous appeler à sa suite pour nous arracher à « ce monde qui est en train de passer », et conduire nos pas au chemin d’éternité. Le chrétien se définit avant tout comme un disciple du Christ, qui met toute sa vie dans le rayonnement de sa lumière, se nourrissant de son Pain eucharistique, afin de lui être configuré dans une existence semblable à la sienne.
« “Dirige-moi Seigneur, par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse” (Ps 24), et accorde-moi la force d’une sincère conversion. Comme aux habitants de Ninive, comme aux premiers disciples de Jésus, donne-nous d’entendre ta voix, d’épouser ta vision et de répondre à ton appel, et, s’il le faut, de tout quitter pour nous mettre à ton service. »