Aujourd’hui comme hier, notre pays vit des moments de tensions suite aux élections qui sont déjà sur nos portes. Il s’agit d’une période déterminante où les actes qui sont responsables (comme celles qui le sont moins) écrivent l’histoire d’un peuple, l’histoire des peuples (pour ceux notre sous-région par exemple). C’est pour cela qu’il a toujours été un devoir de l’Eglise Catholique d’en appeler à la conscience de tout un chacun pour qu’il pose des actes réfléchis, sous peine de commettre l’irréparable en cas de manquement de vigilance. Ne dit-on pas avec raison que « quand un imbécile jette la pierre dans un trou, cent sages ne suffisent pas souvent pour l’en retirer » ? Pensons seulement aux vies humaines que nous avons perdues (ou mieux, que nous avons détruites) pendant nos guerres fratricides !
Quelle a été la contribution de l’Eglise catholique en tout ces moments ?
En ces derniers jours qui précèdent les élections de 2015, beaucoup ont été les réactions de ceux qui pensent que la Conférence des Evêques Catholiques du Burundi (C.E.CA.B.) n’aurait pas dit ce qu’elle a récemment dit quant au respect de la parole donnée (référence aux accords d’Arusha et aux autres textes légaux du Burundi). En outre, il y a risque de faire passer dans l’opinion que cette sortie serait intéressée (au premier sens du terme) puisque, dit-on, la même conférence aurait brillé par son silence pendant d’autres moments difficiles qui ont caractérisé notre histoire. Arrêtons-nous sur quelques considérations.
Clarifions : quand l’Eglise s’exprime sur des questions de société.
Ceux dont les calculs sont « menacés » par une prise de parole de la hiérarchie de l’Eglise Catholique disent que l’Eglise s’ingère dans les affaires politiques. En lisant certaines publications sur les réseaux sociaux burundais (surtout Facebook), il y en a qui disent qu’ils n’hésiteront même à lancer des pétitions contre les prélats catholiques burundais afin que le Pape les rappelle à l’ordre : j’entends ici « qu’ils doivent s’occuper de la sacristie et non s’exprimer sur des questions qui intéressent la gestion politique de l’Etat ».
Il faut alors préciser que le seul agenda politique de l’Eglise Catholique est son enseignement social, qui depuis 1891 (avec Rerum novarum), cherche à donner sa contribution afin de promouvoir une culture du bien commun, de la justice sociale et les libertés individuelles et sociales authentiques. En effet, la doctrine sociale de l’Eglise est la traduction de la vision catholique de la politique, de l’économie et de la société. L’Eglise s’intéresse à la politique par l’entremise de ses ministres (son hiérarchie) qui doivent être des rassembleurs, mais pas au sein d’une logique de parti (ce qui impliquerait une logique des groupes).
En outre, le droit de l’Eglise à s’exprimer dans le débat public dérive de son indépendance par rapport aux organisations politiques étatiques, de son autorité morale et de sa présence tangible dans la société. Au sein de la démocratie moderne, l’Eglise réclame son droit de s’exprimer comme toutes les institutions de la société civile afin de promouvoir et défendre ses valeurs et encourager, à la lumière de la sagesse du christianisme, le débat sur ce qui devrait faire partie des priorités de la société. Elle se fait donc promotrice du bien commun selon ce qu’elle comprend de cette notion (Voir Catéchisme de l’Eglise catholique n°1906).
Enfin, quand l’Eglise s’exprime à la veille des élections, comme elle l’a fait en avril 1965, avril 1993, en mars 2004, et même mars 2015, elle n’entend pas persuader les catholiques à se ranger et voter pour ou contre quelqu’un, mais elle accomplit son devoir former les consciences en rappelant les références à son enseignement social ; elle cherche à illuminer les consciences de ses fidèles (de quelque formation politique qu’ils soient, électeurs ou candidats aux élections) sur les valeurs d’une anthropologie illuminée par l’Evangile. Elle rappelle les aspects les plus importants de l’unité de la vie chrétienne: la cohérence entre la foi et la vie, entre l’Évangile et la culture, rappelée par le Concile Vatican II. (Cfr G.S N° 43).
L’Eglise a-t-elle vraiment brillé par son silence comme on l’entend dire ?
Après le dernier message de la C.E.CA.B, les réseaux sociaux burundais grouillent de réactions qui accusent les Evêques de s’être tus pendant d’autres moments difficiles de notre sombre histoire. Quand j’entends un tel discours, je n’ose pas m’imaginer que ceux qui le tiennent soient animés d’une bonne volonté. J’aimerais me tromper à leur sujet. Je pense surtout qu’il s’agit des manœuvres de désinformation qui (se) nourrissent des lieux communs. En effet, la population électorale burundaise est composée en grande partie de jeunes. Si on va jusqu’aux 25-30 ans, il s’agit d’une partie de la population qui, en 1993, ne comprenait pas grand chose quand aux prises de positions des uns et des autres, mais sûrement souffrait des affres de la guerre qu’on vivait. Que pourraient alors répondre ces personnes si on leur disait qu’en 1972, 1988, 1993, pendant les villes-mortes de 1995-1997,… l’Eglise est restée silencieuse ? Sûrement qu’il n’y aurait pas d’arguments. Et j’appelle cela : désinformation, manipulation de la part de ceux qui savent bien que l’Eglise a parlé, même si parfois, elle a parlé aux «oreilles assourdies par la violence subie ou tramée ». Apprenons à nous rendre aux évidences. N’oublions pas que l’Eglise ne dispose d’autre police contraignante que la conscience personnelle de celui qui veut bien l’écouter, qu’il soit chrétien, catholique, ou non! La vérité nous rendra libres.
Survol historique des déclarations et prises de position de la Conférence épiscopale.
Au temps de l’Indépendance, l’Église Catholique mettait en garde ses chrétiens contre la franc-maçonnerie et le communisme. Quand on se rendit compte que le problème burundais était autre, elle développa un enseignement qui visait à sauvegarder le tissu social en détérioration. La recherche de l’avoir et l’hédonisme portaient à des tensions. La haine et la rancœur rongeaient les cœurs des Burundais. « La charité et la paix dans la justice » (1970) : tel fut un des documents d’envergure qui analysa le problème social burundais dans son ensemble et invita à rompre avec la haine et la suspicion. «Le Hutu se dit : que les Tutsi fassent quelque chose et nous ripostons énergiquement ! Le Tutsi de son côté se dit : je ne me laisserai jamais faire par le Muhutu. L’étranger, lui, au lieu de réconcilier, s’en lave les mains, se dit : ‘tant pis pour eux’, ou pire encore, attise le feu de la discorde», lit-on dans ledit document de 1970.
Sautons un beau bout de temps. Quand le Président démocratiquement élu en 1993 fut assassiné, ce fut l’ouverture des vannes de la haine ethnique et de la violence. Les évêques invitèrent à la célébration des journées de repentir, de réconciliation et d’espérance. La tentative de remise en place des institutions étatiques fut pilotée par un Représentant de l’ONU, épaulé par le président et le vice-président de la Conférence épiscopale catholique. Quand les Evêques condamnaient les violences entre frères et sœurs burundais, ceux-ci s’embourbaient dans des actes d’une violence assourdissante qu’on eût pensé que personne n’avait parlé. Ainsi disaient ces pasteurs en juillet 1995 : «La vie de la personne humaine est intouchable, pour quelque motif que ce soit. Toute violence est absolument injustifiable et même l’auto-défense légitime ne peut planifier consciemment l’anéantissement de l’autre». Nul n’ignore la balkanisation des quartiers de la ville de Bujumbura et des autres centres urbains et les actes de barbarie qui s’y commettaient.
Ils ont chaque fois pointé du doigt les causes des crises burundaises : la course au pouvoir pour l’avoir qui procure tous les plaisirs. Cette conception de la vie marque une rupture profonde entre la société traditionnelle, qui se construisait sur la terre, la vache et la progéniture –et celle occidentale qui insiste sur l’argent, la villa et la voiture. Un nombre restreint de citoyens, comme toujours, et avec des moyens pas toujours propres, s’en procure en sacrifiant la majorité. C’est ainsi que naît le système d’exclusion qui garde des cercles d’influence (aujourd’hui on parle des généraux là où on parlait hier d’autres) en commençant par les ethnies, passant par les clans et les régions pour se renforcer népotiquement sur la famille élargie. La cristallisation autour de ces entités ouvre à la constitution d’un système d’ exploitation-protection.
Ceux qui disent que les Evêques ont brillé par le silence devraient au moins se rappeler une chose, ou même deux : « Verba volant, scripta manent » et par conséquent, les Burundais peuvent aller à la source et démasquer le mensonge, puisque tout le monde n’est si analphabète pour qu’il croie à toutes les déclarations, sans pouvoir vérifier la consistance.
Voici les titres de certains messages qui ont été publiés (par ordre chronologique) par la C.E.CA.B. J’en indiquerai l’auteur chaque fois que ce ne sera pas directement la Conférence épiscopale comme organe. J’ai surtout retenu ceux qui ont été livrés dans les années de grandes turbulences de la société (1965, 1969, la période 1972, 1988, 1993 et suivant).
C.E.CA.B., Lettre pastorale des évêques du Burundi à l’occasion des nouvelles élections législatives, Gitega, 1 avril 1965.
– Lettre pastorale des pasteurs de l’Eglise du Burundi adressée aux chrétiens, ainsi qu’à d’autres habitants du Burundi qui désirent le bien, Ngozi, 23 octobre 1969.
– La charité et la paix par la justice, Les Presses Lavigerie, Bujumbura 1970.
– Lettre pastorale des évêques du Burundi, 24 mai 1972.
– MAKARAKIZA A. (Mgr), Considérations au sujet des événements actuels. Message adressé à tous les prêtres, à toutes les communautés de sœurs et e frères, Gitega, le 7 Juin 1972. Archives de l’archidiocèse de Gitega.
– Appel des évêques du Burundi à la réconciliation, dans D.C, n°1611,18 juin 1972.
– La Justice est possible et la paix aussi, Bujumbura, 31 août 1972.
– Lettre des évêques du Burundi à tous les Barundi, Gitega, 13 juin 1973.
– Message des évêques catholiques du Burundi, Muyinga, 25 août 1988.
– Lettre pastorale sur le rôle du chrétien en ce temps d’activité politique intense («Inyigisho y’abepiskopi b’Ekleziya Gatolika yerekeye intwaro rusangi mu migambwe myinshi, n’amatora twimirije »), Bujumbura, 10 avril 1993,
– Appel des évêques catholiques, de l’Eglise épiscopale et de l’Eglise libre méthodiste du Burundi : le cri de l’Eglise en deuil avec son peuple, Bujumbura, 25 octobre 1993.
-Appel des évêques catholiques, de l’Eglise épiscopale et de l’Eglise libre méthodiste du Burundi, Bujumbura, 2 novembre 1993.
– BUDUDIRA, B. – NTAMWANA, S., Message du bureau permanent de la C.E.C.A.B sur la situation de violence dans le pays, Bujumbura, 12 août 1994.
– Nous condamnons avec force toute violence dans notre pays, Bujumbura, 24 août 1994.
– Message des évêques catholiques aux fidèle s et aux hommes de bonne volonté, Bujumbura, 24 Octobre 1994.
– Heureux les artisans de la paix, Bujumbura, 13 janvier 1995.
– Nous devons marcher ensemble vers la paix, Déclaration et prise de position des évêques Catholiques du Burundi sur la situation de guerre civile dans le pays, Bujumbura, 26 juillet 1995.
– Cessons de nous cacher derrière l’ethnie. Ne confondons pas le bien et le mal, tous les tueurs se ressemblent, qu’ils soient hutu ou tutsi, Bujumbura, 12 juin 1996.
– « Dieu notre Père sauve le Burundi de la guerre et de la haine, ramène la paix et l’harmonie sociale dans notre pays », Bujumbura, 1997
– Message des évêques catholiques aux hommes politiques sur le dialogue politique ou négociation, Bujumbura, 29 août 1997.
– Aux politiciens, aux belligérants, aux participants à la négociation d’Arusha, à la communauté internationale, tous les Burundais de bonne volonté, Rome, 9 septembre 1999.
– Appel à un cessez-le-feu. Vous tous qui êtes impliqués dans la guerre au Burundi, vous tous qui la faites ou la soutenez d’une manière ou d’une autre, nous vous demandons : arrêtez la guerre, Bujumbura, 15 décembre 2000.
– Non à la guerre, oui à la paix! Bujumbura, 9 mars 2001.
– Abandonnons la guerre, reconstruisons le pays par la vérité, la justice et le pardon, Bujumbura, 14 décembre 2001.
– Ecoutez-vous les uns les autres et la paix refleurira dans notre pays (Jc 1, 19), Bujumbura, 6 août 2002.
– Urgence d’un engagement unanime pour la paix, Gitega, 14 janvier 2003.
– Consolidons les voies du dialogue et de la concertation pour éviter à notre pays d’aller à la dérive, Bujumbura, 14 mars 2003.
– Tugumane umwizero, amahoro arashobora kugaruka mu Burundi, Bujumbura, 23 juin 2003.
– Préparons-nous à faire de bonnes élections qui nous aideront à sortir de la crise, Bujumbura, 19 mars 2004.
– Mémorandum de la conférence des évêques catholiques du Burundi adressé aux nouvelles autorités du pays, Bujumbura, 17 août 2005.
– Déclaration des évêques catholiques du Burundi sur la vie du pays, Bujumbura, 8 septembre 2006.
– Déclaration des évêques catholiques du Burundi sur la vie du pays à l’intention des hommes politiques, Bujumbura, 9 août 2007.
– Message des Evêques catholiques concernant la paix au Burundi, Décembre 2011
– Communiqué de presse de la C.E.CA.B sur quelques questions d’actualité au Burundi, décembre 2013
– Twitegurire amatora mu mutekano no mu kuri, Bujumbura, Kigarama 2014
– Ijambo rigira kabiri ry’Inama y’Abepiskopi gatorika b’i Burundi ryerekeye amatora yo mu mwaka w’2015, Bujumbura, Ntwarante 2015
Vous êtes vraiment romanesques.
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