La contraposition entre l’obéissance et la liberté est typique d’une phase spécifique de la croissance : l’adolescence. Dans l’Evangile, l’attitude que Jésus nous présente est un exemple d’un christianisme adulte. Si d’une part, Jésus dénonce avec force ceux qui voudraient instrumentaliser la loi pour en faire un instrument d’oppression de l’homme, de l’autre, il nous met en garde : tout ce qui nous vient de l’intérieur n’est forcément positif. C’est pourquoi Jésus déplace l’attention vers notre monde intérieur qui est d’intentions, de motions et d’émotions.
Dans notre langage quotidien, nous nous rendons compte da la présence de beaucoup de lieux communs ( topoi en grec). Par exemple, on entend des personnes dire que nous ne sommes plus au Moyen-Age (pour dire qu’il était un temps obscur…) en oubliant que par exemple, les universités sont nés en ce temps-là ! Pour l’Evangile de ce jour, on risque d’être superficiel et succomber au même préjugé. Un de ces lieux communs est la description caricaturale qu’on se fait du judaïsme aux temps de Jésus. On est porté à penser que les contemporains de Jésus vivaient une religiosité excessive et formelle, extérieure et hypocrite, donc pharisaïque. Et on pense alors que le christianisme (doctrine fondée en Jésus-Christ) est une religion d’intériorité. Allons-y doucement !
Dans les faits, l’hébraïsme était et est une religion de l’intériorité comme le christianisme. Ce dont Marc parle aujourd’hui se réfère à une pratique minoritaire qui étendait au quotidien les ablutions sacerdotales. Par contre, nous connaissons bien la possibilité d’un christianisme formaliste, extérieur, qui se nourrit surtout des traditions et dévotions marginales, et donc n’est pas capable de distinguer ce qui est centrale de ce qui ne l’est pas. Je me souviens avoir vu/entendu et voir/entendre des gens qui récitent le chapelet pendant la sainte messe, des gens qui prennent au sérieux des messages d’apparitions plus que l’Evangile (alors que même quand ces messages sont authentifiées, ils rappellent à l’ordre : suivre l’Evangile !) ; je me souviens avoir vu/entendu et voir/entendre des gens qui ne se rappellent même pas l’Evangile du jour 30 minutes après la messe, quand ils se rappellent bien les dernières nouvelles de la radio (ahó zikivugá– que le lecteur comprenne !). Attention donc à juger très vite les autres !
Aujourd’hui, l’Evangile nous parle des pratiques rituelles qui font l’objet du litige entre Jésus et les pharisiens, sont issues de la «tradition des anciens», c’est-à-dire de l’interprétation orale de la Torah transmise de génération en génération, et ayant acquis au fil des années, une valeur normative. Cette tradition contient un ensemble de prescriptions, qui veulent incarner dans la vie quotidienne les préceptes généraux de la Loi en matière de pureté rituelle. Ainsi l’aspersion « au retour du marché » était un geste symbolique de mise à distance par rapport à toute personne n’appartenant pas au peuple élu – peuple sacerdotal qui doit impérativement se garder « pur » pour pouvoir offrir à Dieu un sacrifice qui lui plaise. Sous couvert de rites religieux, ces pratiques relevaient avant tout du souci de sauvegarder une identité juive au milieu des nations païennes. Peut-être que nous avons des pratiques semblables pour sauvegarder notre identité tribale, ethnique, sociale, « partitique », etc.
Se faisant l’écho du prophète Isaïe, Jésus dénonce l’ambiguïté d’une telle attitude : derrière des explications se référant à la Torah, les doctrines enseignées par les pharisiens « ne sont que des préceptes humains ». Comme leur nom l’indique, les rituels « religieux » (religion, du verbe latin religare=relier) devraient avoir pour but de « relier » à Dieu ceux qui les accomplissent pieusement. Tel n’est plus le cas pour ces pratiques traditionnelles qui se sont réduites au fil des années, à des signes identitaires permettant de tracer la frontière entre le juif et le non-juif. Notre-Seigneur condamne l’hypocrisie de ces comportements pseudo-religieux, qui sacralisent une séparation entre les personnes alors que le Père a tout au contraire envoyé son Fils pour «rassembler ses enfants dispersés » (Jn 11, 52). Sommes-nous différents dans notre quotidien ? N’y a-t-il pas quelque « barrière » que nous pouvons avoir dressée entre nous et ceux qui ne nous ressemblent pas ? qui ne pensent pas comme nous ? qui ne sont pas de notre…. ? Le psaume que nous méditons après la 1ère lecture nous enseigne que nous n’appartenons pas à Dieu parce que nous portons un foulard, un drapeau ou autre insigne distinctif, mais en vertu de ce que nous faisons : mettre en pratique ce qu’il nous demande.
Refusant toute forme de ségrégation, Jésus s’adresse directement à la foule bigarrée qui l’entoure, et au sein de laquelle les règles de pureté ne devaient pas être particulièrement observées. «Ecoutez-moi tous – sous-entendu : quelle que soit votre appartenance raciale, sociale ou nationale – prêtez attention à mes paroles et non aux vains discours de ces soi-disant docteurs de la Loi qui se sont éloignés des chemins de la sagesse. La pureté n’est pas un attribut des aliments ou des ustensiles. Seul le cœur peut être qualifié de pur ou d’impur, selon qu’il est digne de servir de Temple à Dieu ou pas». Ici se rencontrent l’intériorité et l’extériorité de notre vie qui doivent être harmonisées : « Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion ». On ne peut pas rester seulement bien intentionné sans agir, comme on ne saurait vivre un activisme vide qui ne veut pas se confronter à la parole de Dieu qui illumine nos cœurs. Il y en a qui disent qu’aller à la messe n’est pas important (puisqu’il y en a qui y vont et qui ne sont pas meilleurs !). S’il est dit que « l’habit ne fait pas le moine », il est aussi vrai que le moine porte (presque) toujours l’habit. Nous sommes une intériorité qui s’extériorise.
Puissions-nous comprendre ce message aujourd’hui : devant Dieu, il n’existe pas d’espace sacré qui puisse nous garantir à lui seul le salut, par le simple fait que nous y sommes, sans vouloir être conséquent ; il n’existe pas de profane (ici Ruhebwá) qui ne puisse pas être atteint par la miséricorde de Dieu. L’unique limite : c’est notre liberté, quand nous ne voulons pas mettre en pratique sa parole.
Il est difficile mais pas impossible, de mettre la parole en pratique. Toutefois on apprend par habitude comme dit le proverbe « l’habitude est la seconde nature »
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