Ce qui importe au chrétien c’est le royaume de Dieu et sa justice, puisque le reste est donné par-dessus le marché (Mt6, 33). Pour cela, quiconque travaille dans ce sens est un compagnon de route, non seulement parce qu’il est un membre potentiel de notre communauté, mais surtout par le bien qu’il fait, d’où qu’il soit. Défendre l’appartenance à Jésus comme un trésor dont on est jaloux ne signifie autre que cultiver une autre forme subtile et dangereuse d’orgueil humain. On n’est plus une communauté pour le Règne, mais une secte, un lobby.
Dans la 1ère lecture, on voit Medad et Eldad qui créent la pagaille. Selon la tradition, on devait se rendre à la tente du Rendez-vous (Tabernacle) et y séjourner pour en recevoir la mission et le pouvoir. Mais ces deux sont en train de prophétiser sans avoir suivi le protocole/le cursus. Josué demande alors à Moïse de l’en empêcher. Mais celui-ci lui répond : et si tous le peuple de Dieu était prophète, que t’importe !
Douze siècles après, c’est le même problème qui resurgit : Jean dit la même chose à Jésus. Jésus semble ne pas avoir de problèmes à ce niveau. Laissez-le faire même si cela brise les protocoles, puisque, qui n’est pas contre nous est avec nous (Mc 9,40). Pourquoi Josué ne s’est-il pas arrêté sur les belles paroles prophétiques au lieu de rester préoccupé par le protocole ? Pourquoi Jean, qui admet que cet étranger au groupe avait des succès dans la chasse au démons, (là où ils avaient peut-être échoué, et c’est peut-être le motif !) ne s’en réjouit-il pas et croire que cet homme a reçu un don particulier de Dieu ? Autrement, on transforme la « sequela Christi » en « sequela discipulorum » : Eux (nous) ou le Christ ? Cet homme, selon Jean, ne répond pas aux critères nécessaires : « il n’est pas de ceux qui nous suivent ». Jean utilise le « nous » et non « te ». Pour lui, on ne peut réaliser des prodiges au nom du Christ que dans la mesure où l’on est explicitement chrétien.
Attention : la situation n’est pas sans ironie, nous savons que les disciples n’ont pas réussi à chasser certains démons, comme je le disais. Cela montre que l’appartenance au groupe n’est pas le seul critère de réussite. Mais leur réaction semble de bon sens : à quoi bon être chrétiens, c’est-à-dire peiner pour conformer sa vie à l’évangile, si n’importe qui peut accéder aux mêmes privilèges, « de l’extérieur » ? Pire : si d’autres font ce que Jésus fait, cela n’atténue-t-il pas son attrait en détournant les regards vers ces personnes ? Ceci n’est-il pas une monopolisation idéologique du bien qui risque de nous faire perdre les occasions de collaborer avec les autres dans le bien ? Au contraire, cela devrait encourager les chrétiens : si quelqu’un, en dehors du groupe des chrétiens, réalise de tels prodiges, n’importe lequel des chrétiens peut certainement y prétendre également. Et si quelqu’un vit des vertus évangéliques sans être disciple du Christ, quel exemple et quelle stimulation donne-t-il aux disciples !
Il faut alors savoir que l’auteur du pouvoir spirituel n’est pas le groupe de disciples. Ce n’est pas la structure humaine, hiérarchique, qui le suscite, mais c’est Dieu. Il confie ses dons à qui il veut et au moment qu’il choisit. Il a confié à saint Pierre et au collège des apôtres l’autorité sur ces dons charismatiques, non pas pour exclure les autres charismes, mais pour les intégrer et veiller sur la communion. Étouffer l’Esprit Saint, c’est entrer dans le jeu du « diviseur » (diabolos).
Au fond, il y a une autre grande et double tentation du pouvoir qui cherche à étendre note domination sur les autres et sur Dieu. D’abord sur les autres en nous arrogeant la capacité d’être les seuls capables de faire le bien. Ensuite sur Dieu, en prétendant de le limiter dans sa liberté d’agir dans le cœur des hommes par des voies imprévisibles, et d’inspirer le bien à quiconque il veut. Jésus a toujours été libre, renversant souvent le protocole habituel : entrer chez le Centurion Romain (Mt 8,5-13), parler avec une femme plusieurs fois divorcée (Jn 4,4-42), se laisse toucher par une prostituée (Lc7, 36-50), s’invite chez les collecteurs d’impôts (Lc19,1-10), etc. Le croyant devrait voir le bien comme provenant de Dieu, indépendamment de celui qui le fait. C’est pourquoi, après avoir loué le Seigneur pour sa justice, le psalmiste demande au Seigneur de l’épargner d’une tentation : celle de l’orgueil d’appartenir à son groupe élu avec le risque d’exclure les autres.
Enfin, Jésus complète cet enseignement par un autre aspect : l’autre chasse de notre cœur, le démon de l’orgueil et de la suffisance. Il ne s’agit plus seulement d’accomplir nos devoirs envers les autres, comme si tout devait partir de nous. Ceci peut nous fermer aux dons de la grâce, surtout au moment où celle-ci viendrait du côté d’où l’on ne s’attend rien. Jésus inverse le mouvement : « celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense ». Notre qualité de chrétien nous prédispose également à recevoir sans espérer rendre en retour, pour le bonheur de celui qui prend soin du Christ en nous. Voilà une occasion de beaucoup grandir en humilité, une occasion aussi de manifester de la gratitude envers celui qui agit avec justice. Cela est aussi important qu’agir avec justice. Cette situation nous rappelle que nous dépendons en toute chose de la grâce de Dieu. Ce faisant, notre prochain chasse de nos cœurs les démons de la suffisance et de la domination.
Seigneur, donne-moi d’accueillir en mon cœur toutes les expressions de ton Esprit qui œuvre en mes frères, même si je ne m’identifie pas avec l’une ou l’autre d’entre elles.
You taught us that God is the source of all good, that good works are performed by men because they are with God. We must admire the good done even by someone who is not a Christian . We must fix our attention, not on the disciples of Christ, but Christ himself. Thank you !
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