La figure de l’aveugle de Jéricho domine l’Evangile. A la différence de Jacques et Jean (dimanche passé : la question de Jésus est la même : que voulez-vous que je fasse pour vous ?), il ne veut pas le pouvoir, mais la pitié. A la différence du jeune homme riche (d’il y a deux semaines), rien de l’empêche de suivre Jésus, pas même son manteau qui lui servait de couverture (et d’isoloir !). Il jette de lui-même son manteau, c’est-à-dire tout ce qu’il a. Il renonce ainsi à ce qui faisait son identité. Il abandonne sa carapace, ses protections, ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes. Il se montre vulnérable et, lui qui est aveugle, il marche vers Jésus avec assurance. A la différence de ceux qui se scandalisent de la passion de Jésus (Pierre et ses amis), lui, il est prêt à suivre Jésus sur son chemin vers Jérusalem. Il veut être totalement libre. Pour entrer dans Jérusalem, Jésus part de Jéricho, dernière ville conquise par Josué pour rejoindre la terre promise, la terre de la liberté et de la libération des fils d’Israël. C’est dans cette terre que veut retourner le peuple de la première lecture, qui est meurtri par l’exil.
L’Evangéliste Marc nous montre Jésus qui arrive à Jéricho (10,46) sans plus de détails sur ce qu’il y a fait, enseigné, sur le temps qu’il y est resté. Puis, il nous le montre repartir. Ici, il s’arrête sur la figure d’une personne : l’aveugle, fils de Timée, mendiant assis au bord du chemin. Il s’agit d’une personne bien définie, dont la situation est connue. Il y a une différence avec le jeune homme riche de la péricope précédente : ce dernier n’a pas de nom (10,17) alors que l’aveugle est nommé. Là où les prémisses semblaient bien mises pour une bonne fin, l’histoire fin par un échec de relation. Pour ce misérable, pour lequel tout semble obscur, l’histoire aboutit au succès : et aussitôt, il le suivit sur le chemin de Jérusalem (10,52).
Au plein milieu de nos tempêtes,…dans nos cœurs tout remplis d’orages… Seigneur, Tu es là.
C’est l’expérience d’Israël, dans la misère de l’exil. A cette époque, le peuple élu a perdu ses repères essentiels : la terre, le roi et le temple. En effet, ils n’habitaient pas leur pays « depuis toujours », il n’était pas la terre de leurs ancêtres, mais la terre qui leur avait été promise et donnée par le Seigneur, en signe d’alliance. La perdre est perdre le don de Dieu, rien de moins. Comment croire à l’accomplissement de la promesse, si les éléments qui marquaient concrètement sa réalisation disparaissent ? De même, comment accomplir les sacrifices rituels prescrits par la parole de Dieu s’il n’y a plus de temple ? Tout ce qui faisait leurs certitudes, ce qui occupait le centre de leur vie, leur est soudain arraché. Le traumatisme est vraiment profond.
En écoutant ou en lisant la première lecture, nous voyons qu’elle est encadrée par ces mots : «poussez des cris de joie (…) car je suis un père pour Israël ». Ensuite, l’expérience traumatisante, aussi douloureuse soit-elle, a été perçue a posteriori comme la préparation d’une moisson abondante : « qui sème dans les larmes, moissonne dans la joie ». Ainsi la joie manifestée n’est pas seulement la joie du retour, elle est aussi la joie de découvrir ce que Dieu construisait dans le silence de la nuit. Oui, Seigneur, Tu es là au cœur de nos vies ! Alors que tout semblait perdu, le Seigneur creusait un sillon et enfouissait une graine qui ne tarderait pas à donner son fruit. De la mort, la vie peut jaillir !
Par Lui, avec Lui et en Lui, nous sommes « sauveurs » les uns pour les autres.
L’attitude de Jésus n’est pas habituelle. Jésus pourrait par exemple aller vers Bartimée, il pourrait aussi demander qu’on lui amène l’infirme, il pourrait encore appeler à lui le pauvre homme. Mais Jésus ne fait pas que guérir, il enseigne. La foule qui faisait rempart et cherchait à étouffer les cris de détresse doit à présent faire corps et conduire Bartimée vers la vie. Le Seigneur choisit ceux dont dépendait cet homme jusqu’à présent, il désigne pour l’aider ceux qui voulaient l’éloigner. Dans sa délicatesse, le Bon Berger envoie vers Bartimée ses frères pour les associer à sa guérison en leur permettant de prendre la parole ; Jésus leur confie de dire son propre désir de la guérison de Bartimée. « Confiance, lève toi, il t’appelle ».
Un bon Maître, comme un bon disciple, est celui qui aide l’autre à grandir. Quand nous nous ouvrons à Jésus, il nous fait dépasser nos égoïsmes et nous devenons capables d’aider nos frères. « Dites-lui de venir jusqu’à moi » (Mc 10, 46-52). Soudain, le miracle se fait réalité : la foule qui était à peine hostile à ses cris s’embrase de bienveillance qui se ravive en elle et change en disant: « Courage, lève-toi, il t’appelle ». Pour que ces gens changent, il suffit qu’il porte sur eux un regard bienveillant et confiant comme il l’a fait pour Zachée. Ce dernier ouvrit spontanément des trésors qu’il avait tenus cachés pour lui. (Lc 19,1-10). Zachée (le pur, l’innocent, et c’est bien ce que signifie ce nom), est une des rares personnes que Jésus interpelle par leur nom- et c’est comme cela que le voit Jésus ! Lorsque vous posez un regard positif sur quelqu’un, vous êtes créateur bonté en lui… Quelque part, au fond’ une braise infime attend la bienveillance d’un regard de quelqu’un qui compatit.
Alors ces personnes peuvent franchir des pas que nous n’attendions même pas d’eux, et ainsi nous permettre d’apprendre d’eux. Nous sommes alors bénéficiaires du bien que nous faisons aux autres. La foule dit à Bartimée que c’est « Jésus de Nazareth » qui passe, en soulignant sa provenance géographique. Bartimée s’adresse à Jésus comme croyant, en l’appelant déjà « Fils de David », c’est-à-dire qu’il professe sa foi en le Messie tant attendu. En tant que mendiant, Bartimée représente l’humanité : nous sommes tous mendiants devant Dieu ; malheureusement, nous n’en sommes pas tous conscients.
Que la Parole de Dieu de ce dimanche nous aide à toujours garder fermement notre espérance en Dieu notre sauveur. Il est de tous nos exils. Il n’est aucune nuit trop sombre pour qu’il nous y suive. Il n’est aucune solitude qu’il ne puisse consoler de sa présence. Que les chants de joie du peuple revenant à Jérusalem soient les nôtres, que l’exultation de Bartimée soit la nôtre, afin que nous le suivions, vers le lieu de l’accomplissement de notre libération, de notre liberté.