Le Seigneur nous donne, à travers sa Parole de ce Dimanche, à méditer sur la gratuité de la miséricorde de Dieu qui nous invite à la fête. Saint Paul nous rappelle que nous sommes ambassadeurs de la réconciliation que nous expérimentons nous-mêmes. Pourtant, notre relation est souvent troublée par le péché et cela nous empêche à voir la vraie image de ce Père qui nous aime malgré nos infidélités. Loin de Dieu, nous sommes perdus, nous sommes morts (ukugenda twarapfuye, ukuburira hejuru pour les parents) L’évangile nous parle du fils perdu et retrouvé, du fils mort et puis revenu à la vie.
1. Le péché comme une crise de relations interpersonnelles.
Un homme avait deux fils. Nous avons maintes fois médité cette parabole en focalisant notre attention sur le premier fils, le cadet et en contemplant sa « conversion ». Une des raisons est que nous pensons que ce fils nous ressemble, mais je crains que quand nous nous rendons compte d’avoir péché, nous ne finissions pas comme lui, à genoux. Nous restons souvent imperméables à la contrition, au repentir. Mais je pense que Jésus veut nous dire plus : il ne décrit pas la contrition d’un pécheur. Si cela était le cas, cela n’aurait pas scandalisé les pharisiens qui sont habitués à la Bible qui parle du Dieu qui pardonne un pécheur repentant. Il faut aller encore plus. Allons-y !
– Le premier fils= le cadet.
Il n’a pas la vraie image de son Père. Il le « tue » parce qu’il demande sa part d’héritage du vivant de son père. Il efface ainsi la relation qui existe entre lui et son Père. Il n’en veut plus. Le voilà qui s’en va, s’éloigne et tombe au plus bas de l’abjection : il s’est vendu comme esclave à un païen, il n’observe plus le Sabbat, il est allé garder les porcs. Du point de vue humain, il est sous la moyenne : sexe, fric, bouffe… (plaisir, richesse, ventre)
Faut-il vraiment parler de conversion ? Voyez qu’il ne continue même là qu’à avoir pour dieu son ventre : il aurait voulu se remplir le ventre… Son retour à la maison est envisagé sous cette même perspective : retrouver de quoi manger comme les ouvriers. Cela le pousse à préparer quelque chose qui puisse émouvoir son père. Je me demande si ce n’est pas mon cas ! Quand je vais me confesser par ex., non parce que je suis mû par la miséricorde de Dieu, mais parce que je me demande ce que penseront ce qui me verront à la messe sans pouvoir communier, …
La faim qu’il ressent n’a rien d’un repentir radical. Il cherche encore dans les biens matériels, il regarde vers les caroubes que mangent les porcs : en effet, «il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien ». La faim qu’il ressent est donc bien une faim liée à la relation. Car rien ne l’empêchait de se servir lui-même dans l’auge des porcs, la surveillance n’était pas des strictes, je pense ! Sa souffrance vient du fait que personne n’avait le souci de lui, personne ne l’aidait à rassasier sa faim. Que de personnes, dans nos quartiers, dans nos communautés de vie,… vivent isolées au milieu des gens qui ne s’intéressent pas à eux!
C’est alors qu’il pense à son père. Sa chance est là, la victoire est déjà acquise. La relation n’est pas encore renouée, mais déjà, par son imagination, il parle à son père. Son raisonnement est simple : Les ouvriers ont du pain car ils le méritent par leur travail. N’ayant pas su trouver la relation juste qui lui aurait attiré l’attention de son père, il décide de renoncer à son statut de fils et de se présenter comme ouvrier. Il cherche à attirer l’amour de son père, tout au moins le mériter désormais.
– Le fils aîné était aux champs.
Il n’est pas différent du cadet. Il est également prisonnier d’un esclavage. Celui du travail. La scène se passe au soir du retour du fils prodigue. Le fils aîné rentre de sa journée de travail, quand « il entendit la musique et les danses ». L’indice est saisissant. Voilà un homme qui n’a jamais voulu être attentif à ses moindres désirs, même les plus légitimes. Il n’entre pas pour danser, pour se relaxer, quand bien même il serait fatigué. Osons dire qu’il ne sortait même pas, ne prenait pas de pause. On aurait dû dire qu’il était assidu. Il s’est bâti un code de vie extrêmement rigide, auquel il lui fallait être absolument conforme. Le pire est qu’il l’a fait croyant plaire à son père.
Il est évident que dans de telles conditions de vie, la colère gronde dans son cœur depuis longtemps et ne cherche qu’une occasion pour s’exprimer. Ce soir, la rencontre est trop brutale, il explose : « tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ». La question porte-t-elle vraiment sur le chevreau ? Sûrement pas. On est en train de manger plus qu’un chevreau : un bœuf gras! Ce sont ses amis qui lui manquent, des amis pour faire la fête. En a-t-il seulement? Esclave de son travail, il a négligé toute relation. Il en souffre et le reproche maintenant à son père pour qui il travaille.
Dans la prison qu’ils se sont construite, les deux frères partagent le même fantasme. Le cadet voit les ouvriers manger à leur faim, l’aîné voit le cadet faire la fête. Mais aucun des deux ne voit l’amour gratuit d’un père bienveillant qui court à leur rencontre puisque pour les deux, il fait le premier pas, il sort, il court, il supplie.
2. La gratuité de la miséricorde de Dieu qui invite tous à la joie.
Pour les deux, l’attitude du père est en effet identique. Il sort de sa maison et va vers eux. Il court vers le cadet, il supplie l’aîné. Il veut les faire entrer dans sa joie. Dieu a le désir de nous sauver, il en prend l’initiative, il le veut et il le fait. Voici un Dieu qui « bouge », qui se meut, à la recherche de ce qui est perdu, quand bien même ce dernier n’y pense pas.
C’est cette image que nous devons avoir du père prodigue. En effet, «comme il était encore loin…. » : le fils n’a pas encore ouvert la bouche. Ce père n’est pas « Musigwamusangwa, Uraz-uransanga, Zirasubizakubuutu, Burijezibon-imyobo ». Nous avons un geste vraiment inhabituel : un supérieur qui court à la rencontre d’un subalterne, surtout quand celui-ci a eu un comportement indécent. Il ne veut pas d’abord savoir si son fils manifestera une vraie contrition, s’il a prévu des démarches de contrition ou d’expier sa faute,… nous sommes devant une gratuité infinie. Le père fera la même chose pour l’aîné : il sort, il le supplie… onvertsio,
3. Nous sommes fils et filles, frères et sœurs, malgré notre passé.
Aujourd’hui, Jésus nous donne une leçon : Que signifie être fils/filles ? Ce n’est pas d’abord le fait de le mériter, d’avoir telle ou telle autre attitude envers nos parents, mais d’être TOUS aimés par ces derniers, quelle que soit notre condition de dignité ou d’indignité. Ceci est une triste expérience de nos familles qui ne ménagent rien pour le bien des enfants, hélas souvent ingrats. Ces parents doivent-ils démissionner puisque les enfants sont ainsi? Loin de là! Chers parents, votre drame est aussi drame de Dieu. Rappelons-nous l’image d’Osée : Dieu qui continue à aimer son épouse infidèle. (Osée 3,1 ; 11,1-9 ; 14,5-9). On comprend alors pourquoi les pécheurs couraient derrière Jésus qui leur a révélé un tel Dieu. On comprend la déclaration de saint Paul : « Le Christ m’a pardonné » s’exclame-t-il. Dieu est notre Père, et il nous aime tous, les bons comme les méchants, ceux qui ont fait du mal comme ceux qui « ne se reprochent de rien », (si vraiment il y en a !) et qui se mettent du côté des offensés. Mais, sommes-nous frères et soeurs? Sommes-nous prêts à entrer dans la fête avec l’aîné ? Sommes-nous prêts à partager la joie avec les autres, quoi qu’ils aient été dans leur passé? Et si cela n’était pas le cas, que savons-nous vraiment de la Bonne Nouvelle qui nous parle d’un Dieu dont la joie est de nous voir TOUS réunis autour de lui, à nous faire fête ?