Depuis quelques dimanches (c’est-à-dire depuis la fin du chapitre 9 de Saint Luc qui parle de la montée de Jésus à Jérusalem), nous accompagnons Jésus et celui-ci nous enseigne ce qui fait l’identité du disciple : se conformant à l’enseignement de son Maitre, il se fait proche de celui qui en a besoin, écoute la Parole qu’il s’efforce de mettre en pratique, prie, ne fait pas des biens matériels le centre ultime de son existence.
La liturgie du 19ème dimanche du Temps Ordinaire nous fait méditer sur deux autres caractéristiques de cette identikit, liées entre elles: la capacité de persévérer dans une attente vigilante et la foi courageuse. Ces deux vertus sont possibles si et seulement si notre vie est toute orientée et vécue en fonction du Royaume de Dieu. Plus rien ne peut alors nous faire peur, puisque ce Royaume bien ultime devient ce à quoi tout se subordonne.
N’ayez pas peur, petit troupeau, dit Jésus.
Il n’y a pas de plus terrible que la peur: elle est capable de transformer la personne la plus timide, douce et inoffensive en un être violent avec des réactions peu contrôlables. Plus pervers que la peur, on ne peut trouver. Elle ouvre la brèche à toute sorte de préjugés et suspicion, nous met constamment en situation d’autodéfense, gaspillant ainsi nos énergies par la production d’adrénaline en vue de parer aux éventuelles attaques. Toute personne devient un ennemi éventuel, tout collège se transforme en un concurrent, l’étranger devient quelqu’un de différent en quête de suprématie. L’amour n’est plus possible. Si Jésus invite à ne pas avoir peur, il sait combien cela ruine une vie, rouille la mission, et nous prive de la paix et la joie de vivre. .
Quel est le contraire de la peur? On pourrait directement penser au courage, à l’audace. Mais le sentiment de peur se nourrit surtout de l’inconnu, de « l’on-ne-sait-jamais ». En ce sens, l’opposé de la peur serait la confiance: une confiance calme, désarmée, pleine d’espérance et de bienveillance. Une confiance non tendue à défendre le passé, les positions déjà conquises et acquises, les avantages atteints. Au contraire, cette confiance travaille pour un futur qui porte avec soi des nouveautés de toutes les attentions et de tous les sacrifices. Les exemples des patriarches que nous racontent le chapitre 11 de l’épître aux Hébreux sont plus qu’éloquents. Abraham ne craint pas l’inconnu de son voyage, Sara espère contre toute espérance: ils ne raisonnent pas en terme de ce qu’ils ont à perdre, mais en vertu de ce qu’ils ont à gagner, puisqu’ils ont confiance.
«N’ayez pas Peur, petit troupeau ! »
Jésus monte vers Jérusalem, vers la croix, et la situation devient de plus en difficile pour lui et pour ses amis, dans les dernières semaines avant Pâques: c’est redoutable puisqu’il va falloir affronter l’hostilité des Chefs religieux… au milieu de la désaffection des foules qui ne s’intéressent plus du tout à celui qui a refusé d’être «leur» messie, le messie qui réussit et triomphe de tout. Selon toutes les apparences, c’est l’échec définitif qui approche : l’échec d’un projet, l’échec d’une vie.
Or, c’est dans ce contexte que Jésus dit : «N’ayez pas Peur, petit troupeau ! » Effectivement, comme il est petit, fragile, ce minuscule groupe de disciples ! Jésus essaie de réconforter en l’appelant de ce terme affectueux : « petit troupeau»…
Voilà donc, une fois de plus, dans la bouche de cet homme Jésus de Nazareth, une affirmation pleine d’audace : ce petit groupe, fragile et pauvre, sans influence et sans culture, sans appui et sans courage, est le « nouvel Israël», le nouveau peuple de Dieu. N’aie pas peur, ne crains pas, petit troupeau !
Aujourd’hui, Jésus me redit cette même parole, en mes épreuves, mes chutes, mes rechutes,… Aujourd’hui, Jésus redit cela à l’Église actuelle, en ses crises… Votre vie a un sens, en Dieu, même si, pour une raison ou pour une autre, elle a une apparence d’échec, même si vous êtes lâchés par vos amis, écrasés par vos adversaires, incompris de tous, même si, même si,….
Toute la vie de Jésus proclame que Dieu donne son Royaume aux «pauvres», aux paumés, aux trébuchants. Même l’homme d’affaires qui a fait faillite, même le divorcé ou le conjoint blessé en son amour. « même la prostituée vieillie et fanée, même le criminel condamné à mort, même le pécheur qui a renié son maitre, même tous ceux qui l’ont abandonné pour quelque raison que ce soit… peuvent, en Jésus, ne pas désespérer. Le Royaume de Dieu n’est pas une conquête qui se gagne, «mais un don du Père qui a trouvé bon de vous combler !
La centralité du Royaume.
La prémisse de l’épisode évangélique que nous lisons en ce dimanche est verset qui lui précède directement : « cherchez le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus tout » (Lc 12,31). Le Royaume de Dieu devient donc le critère-base de tout ce que nous faisons et de tout ce à quoi nous aspirons.
Alors que dimanche passé, le Seigneur nous instruisait à propos de notre rapport avec les choses matérielles, aujourd’hui, il nous enseigne comment vivre notre rapport avec le présent, un présent qui s’ouvre au futur. La vie est alors considérée comme une attente constante, puisque le présent n’est pas le tout de notre vie. Il s’agit d’une attente active qui met au centre ce qui compte le plus pour nous: le Royaume. En ce sens, nous comprenons le rappel à l’aumône qui n’est pas à considérer seulement comme un exercice de charité ou une forme de remédier aux péchés contre la justice sociale, mais surtout comme un exercice de liberté par rapport aux biens matériels, puisqu’ils ne sont pas le centre de notre vie. Nous pouvons même les donner. Avec liberté et détachement, sans nous sentir amputés.
La foi d’Abraham et de Sara
Dans la lettre aux hébreux, l’écrivain sacré affronte le thème de la foi comme vertu qui donne sens à toute la vie. Ici, la foi est à comprendre non comme un ensemble de vérités qu’il faut retenir, mais comme une attitude envers Dieu et son Royaume, attitude qui change notre manière de vivre le présent et de tendre vers le futur.
En vertu de cette foi, Abraham et Sara ont affronté l’épreuve du détachement de leur patrie, ont vécu leur vie comme des étrangers, des voyageurs, et ont vécu l’accomplissement des promesses. Ils ont vécu toujours tendus vers la patrie qu’ils n’ont pas habité, mais qu’ils nous ont indiquée comme destination : le Royaume de Dieu, comme nous le révèle l’Evangile.
Trois paraboles: vivre tendus vers le royaume.
Dans cette logique, nous pouvons alors lire et comprendre les trois paraboles d’aujourd’hui. La vie du croyant est une tension constante vers ce Royaume.
Dans la première parabole, on y lit une invitation à la vigilance, non par peur de la rencontre, mais pour être toujours prêt à rencontrer le Maître.
La deuxième consiste en l’imprévisibilité de la venue du Règne. Ceci signifie que ce règne n’est pas fruit de notre activité. En restant vigilant, tout ce que nous faisons doit nous préparer à rester éveillés pour le recevoir comme un don. En effet, le Père « a jugé bon de vous donner le Royaume », nous dit Jésus.
La troisième parabole restitue au présent sa vraie valeur. En ce présent, des responsabilités nous sont confiées. La fidélité à nos responsabilités devient notre quotidien. En ceci consiste notre sainteté : faire de l’ordinaire de notre vie une merveille.
Prions, les uns pour les autres, afin de vivre ces vertus d’une attente persévérante, nourrie et soutenue par la foi.