« Tu es là au cœur de nos vies. »
Jésus fréquenta tous, les villes et villages, petits et grands, « pécheurs » et « saints » (ce que notre opinion qualifie comme tels): il avait été hôte chez Matthieu-Levi (Lc 5,29), chez un pharisien (Lc 7,36), chez Marthe et Marie (Lc 10,38), chez un autre pharisien (Lc 11, 37), et dès ce chapitre14, nous le voyons chez les grands, chez un chef de pharisiens, avec beaucoup d’autres invités. Il partage la vie de son peuple, la vie de TOUS, la vie des gens de toutes les conditions. Nous le disions déjà dimanche passé. Il n’est pas celui que nous pourrions imaginer toujours en opposition avec ceux qui ne pensent pas comme lui. Nous savons que le parti des pharisiens avait en son sein des durs opposants de Jésus, mais le voici qui fréquente un de leurs chefs. Le fait que cette scène se passe au cours d’un repas montre que l’enseignement de Jésus n’est pas « un habit de fête » que nous mettons pour de grands évènements, mais quelque chose du quotidien. Qui se montrerait humble seulement lors des évènements solennels ne ferait qu’un autre acte vanité.
Au cœur de nos vies, Jésus nous parle du Royaume.
Nous ne pouvons pas limiter la leçon de cette parabole seulement à la morale et au savoir-vivre social. Son enseignement déborde de loin ce cadre: Jésus n’ouvre la bouche que pour nous parler du Royaume, en partant des choses de la vie de tous les jours. Il n’est pas abstrait, générique. C’est ainsi qu’avec le chapitre 14, nous commençons une série de 10 paraboles qui nous parlent du Royaume de Dieu: les paraboles du chapitre 14 nous lancent l’invitation à entrer au Royaume de Dieu tout en soulignant la tenue de la fête (en ce 22ème dimanche du T.O : l’humilité); celles du chapitre 15 nous rappellent notre vraie condition de pécheurs devant Dieu qui ne nous abandonne pas même quand nous nous détournons de Lui. Dans sa grande miséricorde, Il nous attend à bras ouverts: à nous de reconnaître notre indigence. Et enfin, le chapitre 16 nous présente les décisions qui s’imposent et qu’il faut absolument prendre pour partager la Joie de Dieu dans son Royaume. Le reconnaître est un acte d’humilité. Mais comment comprendre cela?
« Va te mettre à la dernière place »… On te dira : « Mon ami, avance plus haut »
Cet enseignement sur l’humilité se traduit en images concrètes dans la parabole que nous méditons en ce 22ème dimanche. Il est important de comprendre le sens profond des images qui n’évoquent pas seulement une leçon de sagesse humaine, sinon des calculs très subtils : choisis la dernière place, et tu finiras par te retrouver dans les places d’honneur, qui sait ! C’était la maxime que les rabbins et les contemporains de Jésus apprenaient de Proverbes 25, 6-7 : c’est mieux d’entendre qu’on te dise : « avance », au lieu d’être humilié devant quelqu’un qui t’est supérieur. Jésus donne un enseignement nouveau : « qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse (s’humilie) sera élevé ».
Que signifie alors s’humilier?
A cette question, on pourrait entendre plusieurs réponses. Pour un mari : ne pas faire le potentat en famille ; pour une épouse : ne pas répliquer à tout, céder, se taire ; pour un jeune : ne pas se vanter ; pour un prêtre : se reconnaître pécheur, faire pénitence,… Tout ceci a quelque chose de vrai. En rester seulement là serait superficiel. Apprenons donc de Jésus.
« Apprenez de moi qui suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29)
C’est un peu étrange entendre de Jésus une telle phrase. Dans toutes les pages de l’Evangile, nous ne le voyons nulle part où il admet une minime erreur ou faute. Au contraire, il dit : « qui parmi vous pourrait me convaincre de péchés ? » (Jn 8,46). Même quand il dit : « Confiteor tibi Pater », le « Je confesse » sur les lèvres de Jésus signifie « je loue » et non « je m’accuse ». Comment alors Jésus est-il humble ? Comment s’abaisse-t-il ? Jésus s’est abaissé non en parlant de soi-même, mais par des faits concrets. Lui qui est de condition divine, n’a pas craint de se faire l’un de nous, partageant notre vie concrète, comme je le disais au début des cette réflexion. Oui, il s’est humilié lui-même, en prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, obéissant jusqu’à la mort (Cfr Ph 2,6-8).
Dans sa vie, il a été toujours cohérent avec ce choix : lui le Maître, s’est abaissé pour laver les pieds de ses disciples (Jn 13, 1-15) ; il s’est retrouvé au milieu d’eux comme celui qui sert (Lc 22,27). Il n’a fait que descendre, descendre, et descendre jusqu’au plus bas niveau : la tombe. L’humilité n’est pas alors une question de sentiments ou un mode de parler de soi-même, de fausse modestie, de reconnaître seulement ses limites, mais une question de choix, de faits concrets. Dans le N.T, on utilise ταπεινω (tapeinoo) qui signifie littéralement : s’abaisser, tendre vers le bas, se faire petit (quand on ne l’est pas du tout) pour parler de l’humilité. L’humilité est donc la disponibilité à descendre et s’abaisser vers nos frères et sœurs, avec la volonté de servir par amour et non pour quelques calculs mesquins liés aux avantages ou échanges.
« Quand tu offres un festin… » : l’humilité est ouverture et gratuité.
Ceci apparaît clairement dans la deuxième partie du récit évangélique qui nous invite à penser aux pauvres, aux estropiés, aux boiteux, aux aveugles. Peut-être qu’on ne comprend pas directement la portée de ses mots. Ceux-ci ne sont pas seulement des nécessiteux ! C’étaient des personnes exclues de la vie cultuelle d’Israël. Parlant des personnes pouvant offrir des sacrifices à l’autel ou en manger, on lit ceci: « qui aura un défaut corporel ne s’approchera point de l’aliment de son Dieu (…) un aveugle, un boiteux (…) il ne pourra pas manger l’aliment de son Dieu, des choses très saintes…» (Voir Lévitique 21-23). Si on connaît combien le repas rappelle et appelle à la communion avec son Dieu qu’on remercie dans la prière avant de manger, et surtout si on sait que même la Nouvelle Alliance est scellée au cours d’un repas, nous voyons que les mots de Jésus ne sont pas à prendre seulement comme si elles concernaient seulement les repas normaux. Quand Jésus parle, il nous parle du Royaume de Dieu, son Père et notre Père.
La gratuité de Dieu va au-delà du simple manger et du boire. Elle est accueil de tous. Tous peuvent se sentir capables d’accéder à Dieu et à ses bienfaits. Le repas en est un signe, et surtout celui des fêtes, celui qu’on prend après le culte du Sabbat, celui que nous prenons après nos assemblées liturgiques. Celle-ci nous changent-elles ? Pensons-nous que tous ont accès aux bienfaits de Dieu? Que des fois j’ai entendu des personnes dire qu’il y en a qui ne méritent même pas la résurrection !
Humilité est vérité. Etre humble, c’est nous mettre à notre juste place.
En nous, il est difficile que l’humilité revête une forme pure. Qui n’a rien à se reprocher ? En nous, l’humilité devient un remède, une réaction à l’orgueil, un contrepoids à notre péché. Quand nous nous abaissons, nous ne descendons jamais d’une hauteur réelle comme celle de Jésus, mais d’une hauteur que nous nous attribuons faussement avec l’orgueil, la prétention,… L’humilité est alors comme une vertu « négative » qui sert à rejeter ce qui est faux en nous : nous admettons nos péchés (moi j’en commets beaucoup !). En ceci, humilité est vérité. « Si quelqu’un pense être quelque chose alors qu’il n’est rien, il se trompe lui-même » (Gal 6,3). Une telle humilité nous invite à la sobriété : « laissez-vous attirer par ce qui est simple. Ne vous faites pas une idée très haute de vous-mêmes » (Rm 12,16).
L’humilité, c’est celle de Dieu qui s’abaisse pour servir, pour sauver.
Si l’humilité pour nous comporte cette aspect de rejeter le péché, la vraie humilité est celle de Jésus qui n’avait pas de péchés personnels desquels il devait s’humilier en les rejetant. Il s’est humilié en prenant nos péchés pour nous sauver. La vraie humilité est celle de la sainte Trinité que nous trouvons dans cette belle prière de Saint François d’Assise : « Tu es Trine et Un, Seigneur Dieu. Tu es l’Amour, Tu es la Sagesse, Tu es l’Humilité ». Mais qu’est-ce que l’humilité pour Dieu ? Il ne peut être que cela ! De la position qu’Il occupe, au plus-haut-des-cieux, il ne peut que s’abaisser, descendre. Peut-Il monter ? Au dessus de Lui, il n’y a rien ! Chaque fois que Dieu me rencontre, me parle, ce ne peut être que l’humilité. S’il parle par les prophètes, par ses messagers (je suis un parmi eux, indigne bien sûr de porter sa parole !), Il ne fait que s’abaisser et balbutier en moi qui ne sais pas parler, en moi qui ai peur quelques fois,… Dieu accepte tous cela et assume mes limites. Oui, Dieu est HUMILITÉ. Vraiment. Pourquoi alors as-tu peur d’annoncer sa Parole ? Il est humble, il s’abaissera et t’aidera, toi aussi ! Vas-y !
L’humilité réalise le commandement de l’amour.
Essayons de conclure : l’humilité est une attitude envers Dieu, envers moi-même, envers les autres. On s’aperçoit combien on tombe dans les deux aspects du commandement de l’Amour : l’amour de Dieu et l’amour du prochain comme soi-même. Etre humble, c’est reconnaitre qui je suis devant Dieu, ce qui porte des implications dans mes rapports avec le prochain. Devant Dieu, nous n’avons pas de prétentions, pas de mérites, nous nous abandonnons à sa bonté. C’est être comme des enfants dans les bras de ses parents. Mais ces attitudes intérieures deviennent authentiques quand elles se concrétisent dans le service du prochain. Autrement, on pourrait dire avec Saint Jean : si tu n’es pas humble envers tes frères et sœurs que tu vois, comment peux-tu être humble devant Dieu que tu ne vois pas ? (Cfr 1Jn 4,20). Ceci équivaut à dire : tu ne peux pas servir, t’humilier et céder devant la volonté de Dieu qui n’en a pas besoin. Fais-le à ton frère/ta sœur. Tu ne peux pas laver les pieds de Dieu, abaisse-toi et lave ceux de ton prochain.
Oui, l’humilité du cœur va avec l’humilité dans les faits. Notre rapport avec Dieu se voit dans celui avec nos prochains. Autrement, nous sommes faux. Combien de personnes sont capables de dire d’eux-mêmes toutes les faiblesses dans de belles confessions sincères, mais qui rougissent quand quelqu’un d’autre leur montre une petite chose qui ne va pas ? Ne suis-je pas de ceux-là ? Est-ce que je suis vraiment humble ?
Prions ensemble : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard hautain. Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme en paix et silence; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. Mets ton espoir, Israël, en Yahvé, dès maintenant et à jamais! Amen ». (Psaume 131)
[…] L’humilité est la mesure et le principe de la conversion et de l’espérance chrétienne. […]
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