La parole de cette Fête de la Sainte Famille rejoint chacun de nous. Nous sommes invités à nous “lever”, à être actifs: Lève-toi, KOUM!= cet impératif hébreu de toutes les vocations. Dieu veut des hommes/femmes debout, Dieu suscite des personnes actives. Joseph, qui occupe les devants de la scène d’aujourd’hui, puisqu’il est nommé trois fois pendant que les autres sont anonymes (l’enfant et sa mère) ne parle pas,… il agit. Il agit quand bien même les évènements semblent obscurs: les songes, la nuit du départ pour une destination incertaine. Ce couple qui connait nos déchirements actuels: des réfugiés, des expulsés qui fuient vers l’inconnu, l’idéologie oppressante,…
Pourtant, dans l’odeur de la mort, il y a toujours une lumière: “d’Egypte j’ai appelé mon Fils”= une prophétie, une lumière divine qui éclaire la situation, un projet divin, une face cachée. Au moment où l’on est déchiré par le “devoir partir”, la bonne nouvelle cite un projet de l’Ecriture où il est question de “retour”: on ne parle de l’exil que pour parler de l’exode… de la mort que parler de la vie. Combien de fois vois-tu la face cachée de ce qui t’arrive? Il est VRAI que chaque personne, chaque famille,… accomplit une part de l’histoire sainte, le mystérieux projet de Dieu, non en sortant de nos situations mêmes difficiles, mais en y découvrant la face cachée que la foi nous y révèle.
S’il est incontestable que la Parole de Dieu parle à chacun d’une façon originale ; il est tout aussi certain que nous avons tous à la lire entièrement avec application. Commençons donc par le début, écoutons ce que nous enseigne Ben Sirac le Sage.
Les conseils qu’il donne ont pour but de fortifier les familles. Ils sont fondés sur la miséricorde: honorer son père pour obtenir le pardon de ses propres fautes, être miséricordieux envers son père pour obtenir le relèvement de son propre péché. Or le pardon des péchés nous vient de Dieu. Pour l’obtenir, il faut donc avoir appris à être fils. Autrement dit, pour être fils de Dieu et recevoir de lui la grâce de la réconciliation, il faut l’avoir appris au sein de la cellule familiale. La justesse de notre relation à Dieu est liée à la justesse de notre relation à nos parents. Et il en va des pères comme des fils. Le Sage dit en effet : « le Seigneur glorifie le père dans ses enfants ». L’orientation fondamentale de toute relation familiale et l’objet de toute éducation est donc en Dieu. Si Dieu renforce l’autorité de la mère sur ses fils, celle-ci trouve sa joie dans l’obéissance de ses fils au Seigneur.
Dans la deuxième lecture (là où elle est lue), Saint Paul approfondit cette approche: il convient, particulièrement entre membres d’une même famille, de se supporter les uns les autres. « Se supporter » dans tous les sens du terme ; c’est-à-dire faire preuve « d’humilité, de douceur, de patience » envers autrui et apporter son soutien actif dans l’exercice concret de la miséricorde, « supportez-vous mutuellement et pardonnez si vous avez des reproches à vous faire ». Ces considérations sont assez proches de celles formulées par Ben Sirac, mais deux arguments nouveaux amplifient la perspective : Dieu en personne est le modèle des relations familiales (« agissez comme le Seigneur : il vous a pardonnés, faites de même ») et l’exercice du pardon est le fondement nécessaire à une relation d’amour authentique (« par-dessus tout cela qu’il y ait l’amour »). Enfin, l’action de grâce et la louange se portent en garants de l’ouverture du cœur qui permet de vivre cet appel à l’unité dans la charité. Nous sommes soumis les uns aux autres comme les membres d’un même corps sont dépendants. Nous formons le corps du Christ.
Ainsi abordons-nous l’évangile, qui nous place au cœur d’un nouvel épisode de la vie de la Sainte Famille, celui que l’on appelle « la fuite en Égypte ». Comme d’habitude, il témoigne que la vie de la Sainte Famille n’a pas été de tout repos. Mais ce récit tranche avec les lectures. Les relations entre les membres de cette famille ne semblent pas mises à l’honneur. Marie et Jésus n’y sont même pas nommés, l’évangéliste les appelle « l’enfant et sa mère », et ils semblent vraiment passifs. Quant à Joseph, comme nous le méditons en ces jours, il a des songes, trois, auxquels il obéit sans discuter. En quoi cela peut-il être exemplaire pour nous ?
D’abord Marie et Joseph ont fondé une famille sur le don de Dieu ; là est l’enseignement le plus précieux. Quand on reçoit un don de la part de Dieu, il ne faut pas le mettre en doute mais se donner à lui afin de se donner soi-même à travers lui. Ainsi Marie et Joseph se donnent à Jésus, totalement et gratuitement, c’est-à-dire sans calcul, par pur amour. En cela leur paternité/maternité nous rejoignent. Et, particulièrement, leurs relations sont fondées sur ce don total de soi au service du projet de Dieu sur l’autre, qu’il a donné à aimer. Ce service est accompli dans la confiance en Dieu et dans une obéissance parfaite, silencieuse et sans retard.
La Sainte Famille nous apprend que le péché, qui est entré dans le monde à cause des égarements d’une famille (Adam, Ève, Caïn et Abel constituaient bien une famille), se trouve vaincu par la grâce faite à une famille. La fête familiale de Noël nous redit en effet le mystère de la miséricorde descendant dans la mort héréditaire de l’homme pour y faire jaillir la vie divine. En Jésus, qui accomplit en toutes choses de sa vie les prophéties de l’Ancien Testament, nous contemplons l’humanité nouvelle que Dieu nous donne afin de nous rétablir à son image. Voici celui qui est sauvé de la mort en Égypte, voici le nouveau Moïse, qui vient à nous par une famille dont tout le monde s’accordait sur l’importance mais dont personne n’a pu déceler la présence, tant son humilité était grande.
Notre responsabilité dépasse donc les frontières du strict noyau familial. Les relations qui unissent Jésus, Marie et Joseph, les dispositions de leurs cœurs, doivent être imitées pour toute relation humaine car notre Père des Cieux aime chacun de ses enfants et ne veut en perdre aucun. Fais Seigneur qu’en renouvelant notre façon de nous aimer et de servir le projet de Dieu dans la vie de nos proches, nous donnions au monde le témoignage de l’amour véritable, celui qui invite chaque homme à redécouvrir sa dignité en Jésus-Christ, sa qualité de fils de Dieu.