Nous sommes arrivés au 2ème dimanche dans notre parcours vers Pâques. Le dimanche passé, nous avons médité sur les tentations de la vie du disciple, tentations qui se présentent comme épreuve de la foi, de l’espérance et de l’amour. Nous n’avons pas à perdre cœur. Pour cela, Jésus veut confirmer ses disciples, en leur partageant comme un avant-goût de ce qui se trouve à la fin du parcours. Ils sont confirmés, c’est vrai, mais la fatigue du chemin, la soif, le doute pourrait encore alourdir leur conscience. Le troisième dimanche servira à répondre à cela : Dieu nous désaltère et assouvit notre « soif » comme le cas de la Samaritaine. Il faut marcher, fixer notre regard sur Jésus, évidemment si nous y voyons clair. Il est, par chance, celui qui nous libère de notre aveuglement du cœur pour que nous puissions le suivre (4ème dimanche) pour comprendre le miracle de la résurrection de Lazare (5ème dimanche), signe et gage de notre résurrection. On pourra alors célébrer la semaine sainte avec fruit, et entrer avec Jésus à Jérusalem en chantant « Hosanna ». On ne va pas donc vers le vide. La première lecture de ce dimanche nous met déjà devant un cheminement, quand bien même nous n’en connaissons pas bien l’issu. Il faut se lever, sinon se réveiller, et partir, confiants en Dieu qui ne déçoit jamais.
C’est l’expérience d’Abraham, qui est notre père dans la foi puisqu’il a confiance en Dieu. Il se lève, part vers une destination inconnue, sans trop de détails. La garantie, c’est son Dieu qui l’appelle. Oui, il est fidèle, ce Dieu qui nous appelle. Vouloir tout comprendre avant même d’essayer trahit un manque de confiance, un manque de foi. Notre repère, c’est la Parole de Dieu lui-même. Aux premiers disciples de Jésus, l’épisode de la Transfiguration apparut comme le repère par excellence d’une merveilleuse aventure : la découverte progressive du mystère divin habitant cet homme, Jésus, leur compagnon et leur maître. Les disciples se seraient volontiers installés au sommet de la montagne. Mais il leur fallut partir, comme Abraham, en s’en remettant à la parole entendue.
Faisons un rapide tour d’horizon. L’évangile d’aujourd’hui est excessif. Voici Jésus, notre Jésus de tous les jours, ruisselant de lumière. Voici Pierre, impulsif et spontané, prétendant monter une tente pour des prophètes morts plusieurs siècles auparavant. Voici ces prophètes des temps jadis parlant paisiblement avec Jésus qui se conduit comme si ces personnages faisaient partie de son quotidien. Voici enfin une nuée et une voix venant du ciel qui parle comme au jour du baptême de Jésus. Nous sommes donc à un commencement.
La transfiguration dévoile le corps invisible du ressuscité. Jésus est le nouveau Josué, le successeur de Moïse qu’annonce le Deutéronome. En rendant visible sa gloire pour quelques moments au sommet de la montagne, Jésus nous ouvre au monde invisible, mais réel, où nous vivons tous. Montrer que Moïse et Elie y habitent, confirme la promesse qui reposait sur eux et se réalise en Jésus. En confirmant l’annonce faite dans le Premier Testament, Jésus annonce la réalisation de la Nouvelle Alliance.
Dieu nous appelle sur une haute montagne pour nous aider à avoir sa perspective sur notre vie. En effet, au sommet de la montagne nous découvrons un horizon plus large que celui que nous pouvons voir à partir de la plaine. Une colline qui semble grande et difficile à gravir à partir de sa base, apparaît petite, minuscule, lorsqu’elle est vue d’un sommet plus élevé. De même, face à un problème qui nous semble particulièrement insurmontable, nous pouvons facilement le résoudre si nous le regardons dans la perspective de Dieu. Le carême permet à Dieu de nous emmener sur ses sommets, de nous approcher de Lui et de voir notre vie avec son regard ; contempler notre vie comme Dieu la voit Lui-même nous permet d’accepter le besoin de changer notre façon de faire et de considérer les choses autrement.
En ce deuxième dimanche du Carême, la liturgie convoque Abraham, saint Pierre et saint Paul, Moïse et Elie, afin de nous aider à saisir dans son unité l’ensemble de l’histoire sainte. Ne sommes-nous pas invités à nous remémorer les figures de notre passé, les moments de notre histoire sainte qui se conjuguent désormais et pour toujours au présent, comme Jésus parlant avec Moïse et Elie. Lus à la lumière de cet évangile, avec leur grandeur, mais sans éluder leurs limites ni leurs déficiences, ils nous conduisent à l’accomplissement de la promesse que Dieu nous fait personnellement en Jésus. Certes nous leur trouverons bien des limites et des tiédeurs, elles n’ont pas l’éclat de l’expérience faite par Pierre Jacques et Jean. Mais sans ces limites, le bonheur auquel Dieu nous appelle ne serait qu’une fuite, comme celle de Pierre qui veut rester sur la montagne et toujours jouir de la présence sensible de Dieu. Si nous acceptons cette promesse, avec la confiance d’Abraham qui accepta de se mettre en route, pour son bien, ces déficiences deviendront le lieu de la révélation de Dieu. En nous le Christ prendra corps, et son visage sera celui de la compassion.
Nous devons surmonter donc les peurs qui nous rendent sourds à la voix du Père, dont Jésus vient de nous montrer qu’elle ne cesse de résonner. Pour monter courageusement vers notre Croix alors que la nuée se dissipe déjà et que les saints qui nous accompagnent redeviennent invisibles, il ne nous reste que Jésus, seul. Jésus qui nous parle et qui nous touche. Jésus qui nous encourage : « « Relevez-vous », ressuscitez, accueillez la gloire que le Père vous réserve, accueillez la Vie qu’il vous donne en partage ». Nous avons ainsi nos Thabor, nos rencontres intenses et toujours vivantes avec Dieu, moments de grâce sur lesquels nous appuyer pour poursuivre notre marche vers Pâque. Le carême est une route austère, mais elle une route joyeuse car Jésus marche à nos côtés. Sachons en rendre grâce, pour nous relever, et marcher, libres et confiants, dans les pas de Notre Seigneur.
« Seigneur notre Dieu, tu as fait resplendir ta gloire sur le visage transfiguré de Jésus, ton Fils. Apprends-nous à reconnaître ta présence parmi nous, tantôt éclatante comme le Soleil, tantôt cachée au cœur de ta création. Ouvre nos oreilles et nos esprits à la parole que tu adressas jadis à Abraham et que tu fis retentir sur la montagne sainte. Fais que les évènements, de notre temps, souvent tragiques, n’ébranlent pas notre foi en Toi afin que nous soyons ta lumière dans le monde. Ainsi soit-il. »