Les lectures de dimanche proclament la souveraine puissance de Dieu : Lui seul est capable de faire triompher la vie là où la mort semble l’emporter. Le prophète Ezéchiel annonce à ses compatriotes exilés à Babylone que le Seigneur ouvrira leurs tombeaux, et qu’il fera surgir de leurs épreuves et humiliations un peuple nouveau : « Vous saurez que je suis le Seigneur quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez ». Notre Dieu est le Dieu de la vie, il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants. La liturgie de ce dimanche insiste abondamment sur ce point.
Ce mystère du Père qui veut nous donner part à sa propre vie dans l’Esprit, nous ne pouvons l’accueillir comme une réalité dans nos existences que moyennant la foi en son Fils unique venu nous sauver. Certes, la mort est inévitable et donc apparemment triomphante. Jésus lui-même tarde et laisse mourir Lazare. Il ne vient donc pas nous épargner la souffrance et le deuil, mais transmuer tout cela par sa résurrection, lui qui a connu aussi la mort alors qu’il est auteur de la vie. Ecoutons Saint Paul nous dire : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ». Cette une parole pleine d’espérance que l’Apôtre nous adresse ici, une parole fondée sur la foi en Jésus-Christ Sauveur, mort et ressuscité, vainqueur de la mort et du péché.
Ézéchiel compare le peuple élu, en exil à Babylone, à des morts au fond d’un tombeau : apparemment il n’y a plus d’espoir d’en sortir, et tel est bien le sentiment qui prédomine chez le peuple. Mais Dieu, par son esprit de vie, va ouvrir ces tombeaux et ramener le peuple en Palestine, sa patrie. C’est une véritable résurrection collective, signe de la résurrection des morts où l’humanité se rassemblera près de Dieu dans la joie et la vie sans fin. Il y a bien des exemples de situations apparemment sans issue dans notre propre vie ou celle de gens que nous rencontrons : un foyer qui se défait, un licenciement, la maladie atroce et incurable, un accident mortel, un groupement de parents d’élèves qui se dissout, une équipe de chrétiens dont les membres finissent dans des scandales… Croyons-nous que Dieu peut ouvrir ces tombeaux ? Et nous donner son Esprit pour repartir an courage ?
Dans l’évangile de la résurrection de Lazare ou plus exactement de la «réanimation » de Lazare, nous sommes invités à poser cet acte de foi en Jésus Christ mort et ressuscité pour nous au travers des personnages de Marthe et de Marie qui nous renvoient à deux attitudes face à la mort et plus largement face la souffrance. A Jésus qui lui dit que son frère ressuscitera, Marthe répond : « Je sais que tu le ressusciteras au moment de la résurrection au dernier jour ». Elle renvoie son espérance dans un futur lointain. Jésus va alors la ramener au présent, à l’aujourd’hui de son salut : «Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais.»
Est-ce que nous croyons qu’ici et maintenant, Jésus est la résurrection et la vie ? Ou bien renvoyons-nous à plus tard son œuvre de salut, mettant ainsi une limite à sa puissance ? La foi ce n’est pas seulement croire que Jésus est mon Sauveur et mon libérateur. C’est aussi croire en Jésus mon Sauveur et mon libérateur ici et maintenant ! C’est croire que « je suis en Lui et Lui en moi : « Quiconque croit en moi, même s’il meurt, vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ?»
Sommes-nous différents des gens du temps du prophète Ezéchiel ou ceux du temps de Jésus ? Croire en la résurrection des morts ne faisait pas partie de la foi d’Israël. Les pécheurs étaient considérés comme morts (Lc 15, 24-32). Une personne gravement malade était déjà parmi les morts (Ps 30[29], 2-4 ; Ps 86,13 ; Mc 9, 27), probablement à cause de cette forte croyance que la bonne santé de quelqu’un résultait d’une saine relation avec Dieu. Le péché signifiait vraiment se détourner de Dieu. La Vie était une bénédiction : plus on vivait longtemps plus on était béni de Dieu (Ps 128[127] ; Gn15,15 ; 35,29 ; Job2, 4 ; Qo9, 4). On comprend mieux que tout ce qui menaçait sérieusement la vie, comme la maladie, était perçu comme une punition de Dieu (Ps 6,6 ;86[85], 6.8.11-13).
Peut-être que dans notre souffrance nous n’avons plus le ressort de confesser une espérance même dans un futur lointain. Peut-être que nous n’avons même plus la force, comme Marthe, de reprocher au Seigneur ce que nous croyons être son inaction : « Si tu avais été là, Seigneur, il ne serait pas mort !» Peut-être que nous ne sommes même plus capables d’argumenter devant notre malheur et que la seule chose encore en notre possibilité c’est de pleurer en restant lié dans notre mémoire, figé dans un passé heureux comme Marie au souvenir de son frère Lazare. L’appel du Seigneur résonne-t-il en nous plus fort que toutes nos résistances ? La liturgie de ce dimanche nous rappelle que le carême est ce temps de l’exode où le ce temps de l’exode où le Christ nous invite dans la foi à laisser les tombeaux de nos fausses sécurités, de nos culpabilités, de nos blessures, de nos repliements sur nous-mêmes. Osons alors regarder vers Jésus, osons nous mettre à sa suite vers Jérusalem.
Il nous faut pour cela être prêts à faire cet exode, à laisser venir à la lumière du Christ cette partie blessée et meurtrie de nous-mêmes que nous tenions si bien cachée depuis tant d’année. Cela peut faire peur. Oui, nous avons peur de notre nudité. C’est drôle, nous cherchons même à nous cacher à nous-mêmes, devant certaines réalités difficiles qui crient et qui sont fortes plus que notre courage. Un nouvel acte de foi nous est demandé pour nous montrer dans la vérité de ce que nous sommes, encore liés par nos bandelettes. C’est pourquoi cette page n’a pas alors pour but la réanimation de Lazare, mais celui de susciter la foi : « pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé ». Voilà le centre de tout. Les disciples qui avaient peur de monter à Jérusalem peuvent vaincre leur peur, Marthe qui est réticente à ouvrir la tombe en disant que le cadavre est avancé peut le faire, les juifs qui ne font que pleurer malgré leur sympathie pour cette famille éprouvée pourront croître dans la foi. Ainsi, nous pouvons suivre Jésus à Jérusalem, terme de notre exode de ce Carême. N’ayons donc pas peur, écoutons et suivons Jésus.
Seigneur, beaucoup d’entre nous, bien que vivants, sont comme enfermés dans des tombeaux. Opprimés, handicapés, malades, ils frôlent souvent le désespoir. Nous croyons, Seigneur, que tu peux ouvrir ces tombeaux-là. Nous savons aussi que le souffle de ton Esprit passe par nos initiatives et nos engagements. Donne-nous le goût et l’audace de suivre Jésus, ton Fils, jusque dans sa passion et que ton printemps d’amour nous fasse renaître à la vie.