Introduction.
Du milieu de la foule, un homme demanda à Jésus : « Maitre, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage», lisons-nous dans l’Evangile du 18ème dimanche du Temps Ordinaire (Année C). Tel est le contexte qui donne lieu à cette réflexion. Voilà une question concrète, réaliste, toujours d’actualité. Il est, hélas, toujours courant de voir des frères en conflit au moment des héritages. Qu’il est fréquent dans nos sociétés, de voir des controverses entre frères et sœurs d’une famille, entre compatriotes !
Jésus lui répondit : «Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages » ? C’est donc un refus ! Jésus se dérobe-t-il ? Mis en présence d’une injustice flagrante, Jésus refuse de se pencher sur ce cas et semble s’en désintéresser. N’est-ce pas scandaleux ! Cela va à l’encontre de tout l’évangile, de toutes les orientations de l’Église, et même de la simple conscience humaine la plus élémentaire. Le chrétien ne doit-il pas faire tout pour que cessent les injustices de ce monde ? Le chrétien a-t-il le droit de se désintéresser des affaires de la terre pour ne penser qu’au ciel ? Ne doit-il pas au contraire avoir des pieds sur terre, cette terre qu’il doit rendre habitable pour tous, en améliorant les conditions de vie sans oublier les relations interpersonnelles entre frères et sœurs, entre compatriotes ? En quoi la réaction de Jésus est-elle évangélique ? Comment l’Eglise (ici j’entends l’hiérarchie de l’Eglise) vit-elle cela quand elle est appelée à se prononcer lors des controverses et conflits entre les gens ?
Les attentes qu’ont les gens en conflits, de la prise de parole de l’Eglise.
Dans des moments de controverses et e conflits pour des décisions sociopolitiques, on sollicite toutes les forces vives d’une nation, les autorités morales, (y compris la hiérarchie catholique dans les pays où elle constitue une autorité morale) afin qu’elles expriment ce qu’elles en pensent, ne fût-ce que donner des lumières sur des principes qui puissent illuminer les décideurs. C’est dans ce cadre qu’au Burundi, par exemple, l’Eglise Catholique a maintes fois pris parole pour donner sa contribution au niveau sociopolitique.
En cela, les Évêques remplissent leur rôle que rappelle Gaudium et Spes, en renvoyant les laïcs à leur conscience et à leur compétence propre : « Que les chrétiens attendent des prêtres lumières et forces spirituelles, mais qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate sur tout problème, même grave, qui se présente à eux» (G.S. n°43). Ceci ne signifie pas que l’Eglise ne s’intéresse pas à la gestion des sociétés, qu’elles ne s’intéresse pas aux questions temporelles. Son rôle est de rappeler les principes qui doivent illuminer ceux qui décident directement. Par sa vision sociale de l’homme et de la société, inspirée par l’Evangile, l’Eglise éclaire et forme les consciences de ses fidèles qui ont la gestion directe des questions techniques.
C’est alors à ce point qu’elle ne satisfait pas toujours les attentes de ceux qui voudraient une position claire, rangée, tranchée par rapports aux controverses et différends qui opposent les uns et les autres. Certes, l’Eglise n’est pas neutre en ce sens qu’elle porte des jugements sur des faits, des actes, des évènements. Mais elle doit laisser aux juges, aux responsables temporels,… la responsabilité d’appliquer concrètement ce qu’ils auront décidé, illuminés par les principes qui découlent de sa vision sociale du monde.
« …dis à mon frère de partager avec moi notre héritage » : que veut cette personne ?
Il convient de ne pas seulement nous arrêter à la question posée, mais aussi de penser aux mobiles de ceux qui interrogent Jésus, de ceux qui veulent une intervention de l’Eglise en cas de controverses. Que veulent-ils, de l’intervention de l’Eglise ? Et comment accueillent-ils cette intervention ? Il arrive que l’on demande aux formes vives d’une nation de donner leurs contributions concrètes en matières temporelles. Le cas le plus récent, au Burundi, est quand les diverses organisations et institutions ont répondu à l’appel lancé par le Parlement en vue de la modification/adaptation de certains articles de la Constitution. Nous nous rappelons que la Contribution/proposition de l’Eglise a été celle de ne toucher que les articles qui concernaient l’intégration du pays dans la Communauté Est-Africaine. Une intervention concrète, donc.
Mais la question n’est pas toujours résolue pour autant ! Il est important de penser à celui qui demande la contribution. Est-ce pour se sentir soutenu et confirmé en sa vision ? Quand il en est le cas, nous nous rendons compte que de telles contributions, au lieu d’aider à assainir le climat, peuvent l’envenimer même. Par conséquent, il n’est pas toujours opportun de porter des jugements concrets, puisque les situations et les personnes changent, alors que demeurent les principes. C’est qu’à rappelé l’Eglise dans sa triple mission d’ annoncer le message de l’évangile, dénoncer ce qui va contre ce message et renoncer elle-même à ce qu’elle dénonce, puisqu’elle est aussi concernée par ce qu’elle annonce et dénonce.
Pour ce que vit actuellement le Burundi, ce n’est pas à l’Eglise de déterminer qui doit dialoguer avec qui (faire une liste des gens à inviter, par exemple), ni donner un cahier de charge à ceux qui pilotent les pourparlers. Consciente de son rôle, étant toujours proche des ses ouailles qui s’inquiètent ici et là, l’Eglise a le devoir de rappeler à ceux qui gèrent la chose publique le devoir de parler avec tous ceux qui estiment qu’ils ont à dire. Elle appelle au dialogue, mais ne prescrit ni le cahiers de charge, ni les participants, ni le lieu,… Ce sont des questions techniques qui excèdent sa compétence.
Au cours du dialogue, comme quiconque, elle peut dire ce qu’elle pense. Des problèmes naissent quand cela ne rencontre pas les aspirations de celui-ci où celui-là. Il estime par la suite que l’intervention ne valait pas la peine, alors qu’elle est la bienvenue quand elle va dans le sens de ce qu’il pense. Ce serait aussi une autre erreur si l’Eglise exigeait que sa contribution soit retenue comme telle, puisqu’elle n’a pas la gestion directe des affaires temporelles. Elle n’impose pas sa vision. Jésus, son Maitre, ne l’a pas non plus fait. Mais elle met au clair ce que l’on court si on ne considère pas certains aspects. L’application concrète revient toujours à qui de droit. Le champ d’action de l’Eglise se limite au rappel au bien commun, au respect et à la promotion la dignité de la personne humaine, quel que soit la manière dont est gérée la chose publique.
Fidèle à son Maitre Jésus, l’Eglise pose des questions, invite à dialoguer, à réfléchir.
« S’affronter, c’est être front à front, c’est-à-dire intelligence à intelligence et non force contre force », dit Albert Jacquard. En tant que telle, la confrontation devient une invitation à réfléchir, à avancer. Elle ne doit donc pas être crainte. Mais hélas, combien de fois, elle a cédé aux passions, à la force, à l’intimidation, voire l’élimination de celui qui ne pense pas comme nous ! En fait, nos plus grands différends viennent de notre refus de désaccord. On se dispute au nom de la concorde que l’on veut imposer aux autres. (Cfr Jacques Poujol, Les conflits. Empreinte Temps Présent, Paris 1998, p.38. Nous fuyons celui que nous refusons d’affronter … et l’affront est encore plus pire.
Burundi, d’où viens-tu ? Burundi, où vas-tu ?
Telles sont les quelques questions que posent les Evêques et que nous rencontrons dans divers messages d’allure sociale. Pour provoquer un positionnement, en effet, la question devient le meilleur moyen. Elle provoque une mise en chemin en permettant de sortir de l’émotionnel. Elle nous permet de désamorcer le conflit en suscitant à réfléchir sur un point d’accord, un point d’intersection entre les personnes impliquées dans le conflit. Elle permet alors de regarder ailleurs pour découvrir ensemble ce point d’accord, en détournant provisoirement l’attention du conflit afin d’éviter le blocage sur un conflit d’opinion. C’est ce que fit Jésus chez Simon le Pharisien, qui l’avait invité et qui se scandalise que Jésus se laisse toucher par une femme aux mœurs légères. C’est cela que fait Jésus dans l’Evangile de ce jour, en proposant la parabole du riche insensé. Il sait où il veut en venir. Par le biais de ce récit, Jésus évite le blocage sur un conflit d’opinion. Cela parce que l’histoire est le meilleur stratagème pour faire échec à l’opposition des auditeurs. Ce n’est pas pour rien que se développent de plus en plus des écoles du storytelling. Par ailleurs, que serait la Parole de Dieu si on en enlevait les récits ?
Le rappel des principes permet aux protagonistes de réfléchir en prenant un peu de recul par rapport à la controverse et cela permet alors de prendre plus de hauteur par rapport au conflit. Jésus utilise des paraboles. Parabole, en effet, est faite de para: le long de… et exprime un désir d’aborder la réalité des choses sans se heurter de front. « Elle dit, mais laisse tout à penser. (…) Elle s’offre à son tour comme un nouveau monde à questionner; loin de réduire le mystère des choses, elle le souligne, le condense et le concentre davantage » (Cfr François Cassingena-Trévedy, Poétique de la théologie, Ad Solem, Paris, 2011, p.56).
Conclusion.
On a souvent entendu dire que l’Eglise catholique n’est pas sorti du silence quand beaucoup s’attendait à sa prise de position. Mais il convient de souligner que les messages qu’elle a donnés à ses fidèles sont riches d’enseignement qu’il convient de « ruminer » encore. Peut-être qu’ils sont restés lettre-morte, puisqu’ils ne proposaient pas de solutions toutes-faites. Jésus ne l’a pas non plus fait, l’Evangile de ce dimanche en est une illustration. Il est du devoir des chrétiens présents dans les institutions qui décident de se nourrir de l’enseignement social de l’Eglise, et cela, dans le souci d’illuminer et d’affermir leur capacité de jugement, plutôt que d’attendre des solutions-miracles de la part de la hiérarchie de l’Eglise. Il également du devoir de l’Eglise de penser aux mesures d’accompagnement de ces messages et contributions, en promouvant des rencontres de réflexions de ces décideurs, dont certains, sinon la plupart n’ont eu que peu de catéchèse à l’école secondaire.
[…] Devant un peuple assiégé par les puissances étrangères, il n’a jamais cessé de dénoncer l’illusion du recours aux armes plutôt que de réviser leur mode d’être, leur mode de vivre, leur relation avec Dieu. Pour cela, on a résolu d’attenter à sa vie, mais le Seigneur auquel il a été toujours fidèle l’a sauvé en suscitant un étranger, concrètement un « vaurien » afin qu’il intercédât pour lui auprès du Roi. Voici alors pour nous une leçon : Dieu sait fructifier le bien que nous faisons, et les fruits peuvent arriver de là même où l’on ne saurait les attendre. Puisons-y donc une double conséquence pour notre vie: celle de la fidélité à Dieu quand nous témoignons de ce dont nous sommes investis et convaincus, et l’ouverture d’esprit puisque les fruits sont un don de Dieu. Ils peuvent surgir des personnes desquelles on ne s’attendrait rien de bon. C’est cela même la mission de l’Eglise qui dénonce le mal et les intérêts mesquins quand bien même cela lui coûte cher, l’Eglise qui annonce la volonté de Dieu et sait renoncer elle-même à ce qui va contre le message dont elle est témoin et porteuse, comme on le disait récemment dans cet article. […]
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