« Ne craignez pas » : Isaïe répercute dans notre première lecture une parole de Dieu qu’on retrouve tout au long de la Bible (on dit plus de 360 fois, ce qui voudrait dire que le Seigneur nous le dit chaque jour de notre vie). Dès lors que Dieu lui-même vient sauver les hommes, il leur faut bannir la peur. C’est alors que s’ouvriront les oreilles des sourds, et la bouche des muets criera de joie. Cette prophétie se réalise littéralement dans la guérison d’un sourd-muet rapportée ce dimanche dans l’Evangile de Saint Marc. Nous sommes en présence d’une catéchèse baptismale centrée sur l’écoute de la parole de Dieu (les oreilles) et la confession se la foi (la langue). Entendre et parler: l’appel s’adresse à nous qui avons souvent les oreilles obstruées et la langue étrangement nouée (ntā guhāndwa ku rurími ikirēnge kírihó, disent les Burundais: est-ce vraiment héroïque??). Nous prêtons oreille complaisante à des commérages, à des ragots les plus douteux et les rumeurs de toutes sortes, mais nous n’entendons pas souvent les cris de détresse (inda y’úwùúndi ikomá indûrú ntiwûmve!!!) ; nous sommes intarissables sur des sujets scabreux, du tout inutiles, mais frappés souvent d’aphasie devant la violence et l’injustice. Trouvons enseignement et accompagnement en la parole de ce 23ème dimanche.
Le cheminement d’Israël de l’Ancien Testament un est chemin de prise de conscience de sa faiblesse et de la confiance en la puissance du Seigneur. Dans sa prédication terrestre, Jésus s’approprie les signes de cette puissance de Dieu et en étend l’efficacité à tout le monde, répondant ainsi au désir, non seulement d’un peuple donné, mais au besoin de salut qui se trouve dans le cœur de chaque personne. Son message a donc une portée universelle.
C’est aussi en substance ce que nous suggère le parcours géographique qu’il fait : de Tyr à Sidon en venant vers la Galilée, c’est un parcours humainement absurde à voir la proximité entre le point de départ et le point d’arrivée. Il y a certainement un message. Il traverse les territoires limitrophes d’Israël, territoires considérés comme impurs (donc, aux personnes impures !) et, du point de vue de l’orthodoxie de la foi, ce sont des territoires où on n’est pas sûr de ce qu’ils croient. Ce qui devrait nous surprendre, c’est que même là-bas, Jésus reçoit les mêmes demandes et ces gens ont les mêmes attentes que les gens de la Judée. Nous sommes donc dans une terre païenne et Marc voit en cette guérison d’un païen le signe de la future mission de l’Eglise, dans sa catholicité qui ne doit exclure personne du salut, à priori. Peut-être que ces païens sont sourds parce qu’ils n’ont pas entendu la Parole de Dieu qui parle du Dieu vivant, Parole jusqu’alors réservée aux Juifs; ils sont alors muets, ou mieux, bègues parce que leurs prières ne sont que des balbutiements. En cette personne guérie, ils rencontre le Christ de Dieu.
Jésus utilise les méthodes de la médecine d’alors et gémit sur la détresse de son malade: il gémit sur la détresse de ces païens. Puis il commande: Effata! ouvre-toi! Une occasion à moi d’élever une prière: « Dis-moi, Jésus, à qui tu veux que j’ouvre mes oreilles pour l’écouter avec attention, à qui tu veux que j’ouvre mes lèvres pour lui transmettre ta Bonne Nouvelle, pour lui adresser une parole de consolation, de libération; à qui tu veux que j’ouvre mon coeur pour l’aimer ». Alors tous auront les mêmes espérances (même s’ils ne connaissent pas Yahweh, le Dieu d’Israël. Le salut sera donc le soupir profond de toute l’humanité. Retournons un peu sur les attentes de ces gens.
Si on nous demandait de choisir entre perdre la vue et perdre l’ouïe, spontanément la majorité d’entre nous préfèrerait être sourd plutôt qu’aveugle. Pourtant les études psychologiques montrent que la souffrance du sourd dépasse celle de l’aveugle, en raison de son plus grand isolement. Nous sommes des êtres de la parole ; elle est le fondement de notre communication. Ne plus entendre, c’est être rejeté hors de la sphère des échanges interpersonnels et donc hors de la sphère humaine ; c’est aussi perdre la possibilité de s’exprimer car le sourd ne pouvant vérifier ce qu’il dit, finit bien vite par s’enfermer dans le mutisme. Tous ceux qui ont fréquenté des sourds ou des malentendants peuvent en témoigner : ces personnes souffrent terriblement de l’isolement et finissent par se replier sur elles-mêmes, dans un sentiment d’abandon voire de rejet, qui engendre souvent beaucoup de tristesse et d’amertume. Hélas, telle est bien la triste situation de notre humanité ; le péché nous a affecté dans tous nos sens spirituel : du fond de nos ténèbres, nous n’entendons plus Dieu, et nous ne le voyons pas davantage. Spirituellement sourds et aveugles, nous nous replions sur notre intériorité vide, emmurés dans notre solitude, incapables de communiquer, ni avec Dieu, ni avec les autres.
A la lecture cette partie de saint Marc, un élément confirme que les disciples – tous les disciples de tous les temps, nous mêmes y compris – sont concernés par ces miracles : ce n’est qu’après que Notre-Seigneur ait rendu l’ouïe au sourd et la vue à l’aveugle, que Pierre peut entendre le Père lui révéler la messiannité de Jésus (Mc 8, 27-29) et qu’il peut la proclamer ; de même, ce n’est qu’alors que les trois apôtres choisis peuvent voir Notre-Seigneur transfiguré sur la montagne (Mc 9, 2-10). C’est effectivement pour le guérir que Jésus est venu, mais d’une maladie autrement plus redoutable que celle qui affecte ses oreilles : c’est à son cœur profond que Notre-Seigneur va redonner vie.
Ce ne sont cependant pas ces gestes qui guérissent le malade, mais la parole que Notre-Seigneur prononce après avoir prié : « Effata », c’est-à-dire « Ouvre-toi ! ». L’évangéliste est obligé de donner la traduction, car la citation est en araméen, la langue usitée ordinairement par Jésus. Remarquons que Jésus ne dit pas « Que s’ouvre tes oreilles », mais « Sois ouvert, tout entier » : car c’est l’homme dans son intégralité qui est malade du péché et que Jésus vient guérir. L’effet est instantané : « ses oreilles s’ouvrirent ; aussitôt sa langue se délia et il parlait correctement ».
L’homme est rétabli dans sa beauté originelle.
Depuis Saint Ambroise, le geste et la parole de Jésus, c’est-à-dire « Effata », sont entrés dans le rituel du baptême. Grâce au baptême, on entre dans la communauté qui écoute Dieu et qui proclame ses merveilles. L’écoute et la proclamation sont donc deux aspects important de la vie du croyant. En outre, n’oublions pas que le don du baptême advient dans la foi, celle de la communauté quand on est baptisé enfant. Sans la foi, on est sourd-muet. Avec la foi, on entre en relation intime avec Dieu et c’est cette relation qui est la réponse au besoin de salut présent en toute personne humaine, qu’elle soit païenne ou pas, de notre groupe ou non. Avec la foi, nous sommes recréés dans notre condition originelle.
C’est pour cela que Jésus est venu pour une nouvelle création, accomplissant ce qui s’annonçait dans la première, et que la péché a mis en échec, à savoir une humanité réconciliée, vivant de la vie même de son Créateur, reconnu comme Dieu et Père. Ceci est très réconfortant en notre temps où certains d’entre nous perdent tout courage et toute créativité. Il y en a par exemple qui disent que les jeunes ne veulent plus écouter l’Evangile. Jésus lui-même se met en route et va à la rencontre des païens. Il n’a pas peur d’aller à la rencontre de leur culture. Ici il utilise des méthodes en quelque sorte similaires aux modes païens de guérir. Les paiens qui le voient faire et qui l’entendent parler se mettent à proclamer la supériorité de ce qu’il fait: il a bien fait toutes choses. Il accepte en effet de s’approcher et de toucher du doigt la misère de cet hommes. Il touche du doigt notre misère. Il n’en est pas indifférent. Voilà.
Seigneur, il arrive que nous nous taisions quand on attend de nous une parole courageuse et claire devant les injustices, les favoritismes et les discriminations au sein de nos communautés chrétiennes, au sein de nos sociétés multi-éthniques et multiculturelles. Ouvre nos oreilles, délie notre langue et nous proclamerons ton amour devant tous les hommes.