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« Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana, en Galilée… »

AU FIL DU TEMPS (Articles publiés)


HomélieSi on lit attentivement le récit des noces de Cana, plusieurs détails sont frappants, et d’abord cette histoire de vin qui manque. Pour un premier signe de Jésus, n’attendrait-on pas plutôt quelque chose de vital : le pain, l’eau, la santé, la vie ? Le manque de vin ne menace aucunement la survie des convives, ni même leur soif possible, puisqu’il y a de l’eau. Il ne menace pas la vie, mais il menace la fête. Il menace l’« euphorie » permise, voire offerte, et même prescrite aux convives d’une noce villageoise. Et donc il menace la réputation d’un hôte qui n’a pas su prévoir avec suffisamment de générosité la quantité de vin nécessaire. Et quand on sait l’importance que revêt l’hospitalité en Orient, la cause est grave. On comprend alors que la mère de Jésus, attentive et compatissante, puisse s’en émouvoir.

La symbolique de l’alliance et des noces
canaLa noce, le mariage se réfère à l’alliance de Dieu avec son peuple. On sait que c’est un thème régulièrement utilisé par les prophètes bibliques. Dieu y est présenté comme l’époux fidèle, inconditionnel, et Israël est la fiancée, ou l’épouse, qui donne des coups de canif dans le contrat. Mais les prophètes bibliques, qui sont sévères avec le peuple auquel ils s’adressent rappellent aussi que Dieu ne résilie jamais son alliance. Or à cette noce qui nous occupe aujourd’hui, il va manquer du vin. Dans une certaine lecture que l’on a fait de ce texte, ce manque signale l’insuffisance du judaïsme à répondre à l’alliance. Dans le même sens, note un exégète, il n’y a que 6 jarres, 6 étant un chiffre d’incomplétude parce que bien sûr on attend la septième. Plus de vin, seulement six jarres, suffisamment d’eau pour la purification, mais pas assez pour la transformation en vin. On se trouve là au fondement de la théologie chrétienne traditionnelle, qui a voulu montrer l’incomplétude de l’Ancienne Alliance pour démontrer la nécessité de la Nouvelle Alliance. Le système religieux juif, avec ses rites de purification, et dans la scène suivante, avec ses marchands du Temple, est présenté comme à bout de souffle, et ce vin qui manque et qui est pourtant nécessaire, il symbolise déjà le sang du Christ, c’est-à-dire la nouvelle foi chrétienne.

Mais qu’en est-il sur le plan spirituel ?
Cette question nous touche de plus près encore que les autres, car finalement, pour faire vivre ce texte, il est indispensable que nous nous la posions à nous-mêmes. Quel est le vin qui nous manque ? Et qui sommes-nous dans cette histoire, à qui nous identifions-nous ? Quel est le vin qui nous manque ? Quel est le vin qui nous manque, qui manque à notre prochain, qui manque à notre monde ? Est-ce la vérité ? Est-ce la justice ? Est-ce la sagesse ? Est-ce la foi ? Est-ce la tolérance ? Est-ce l’espérance ? Est-ce le silence ? Est-ce la confiance ? Est-ce la simplicité ? Est-ce le pain quotidien pour tous ? Est-ce le respect ? Est-ce l’estime de soi-même ? Est-ce la bienveillance pour autrui ? Est-ce la joyeuse bonté ? Est-ce la fidélité à Dieu et à nos frères et sœurs en humanité ? Quel est ce vin nécessaire à notre joie évangélique ? Il incombe à chacun de nous de laisser cette question descendre en lui-même et interroger sa vie.

Qui sommes-nous dans le récit de Cana ? À qui nous identifions-nous ? Que faire ?
Soit, nous sommes du côté de ceux qui ignorent, du début à la fin, que le vin a manqué. Et c’est à peu près tout le monde, à des degrés différents, ce qui n’empêche que tout le monde sera abreuvé de ce vin délicieux et nouveau. Il est frappant de voir l’insistance mise sur le secret dans ce récit. Personne ne doit voir ce qui se passe, le maître de maison n’en a rien vu, ni les invités. Seuls les serviteurs sont au courant de la transformation, les disciples dont il est dit qu’ils crurent alors en Jésus, et bien sûr Marie, qui a été la commanditaire de l’opération. Le changement de l’eau en vin à Cana s’accomplit de manière mystérieuse et secrète. De l’eau est rajoutée à l’eau contenue dans les six jarres. Et on peut y puiser alors du vin. Aucun geste, aucune parole particulière de Jésus. Il ne reste donc, sans doute, que la prière silencieuse qu’il fait à son Père : « qu’il en soit fait selon ta volonté !» Mais nul ne le sait.

Soit, nous sommes du côté de ceux qui ont vu le manque : et c’est en premier lieu Marie, puis Jésus qu’elle alerte. Contrairement à ce que l’on pourrait penser le manque de vin est tragique. Du moins à ce niveau spirituel. Et c’est bien ce caractère tragique que signale Jésus quand il prononce les paroles annonciatrices de sa passion et de sa résurrection : « Mon heure n’est pas encore venue ».

Ce manque de vin est tragique car il donne lieu à diverses situations.
– Faut-il dire que le vin manque, ou faut-il faire comme si on ne voyait pas qu’il y a un manque. Dans la Bible celui qui accepte de voir le manque et qui alerte les autres sur le manque, c’est le prophète. Et on sait bien qu’en remplissant sa mission, le prophète risque toujours de n’être pas compris, ou même rejeté, et parfois menacé dans sa vie. Le prophète, c’est bien celui qui alerte sur le manque de vin, autrement dit sur le manque de vérité, sur le manque de justice, sur le manque d’amour, sur le manque de confiance, sur le manque de fidélité à Dieu, etc. Et dans notre récit de Cana, c’est Marie qui joue ce rôle prophétique, et on voit comment elle se fait rabrouer par Jésus, et comment elle ne se laisse pas démonter.
– Mais on peut choisir aussi de ne pas voir le manque, ou les manquements fondamentaux qui mettent la vie, le monde, le cœur, l’âme, le prochain, l’homme en péril. On peut se voiler la face, mettre la tête sous l’aile, minimiser les risques, penser que tout ira mieux demain. Et d’ailleurs parfois cela marche. Car heureusement il arrive que Dieu vienne combler nos manques sans que nous n’y participions en rien. Ainsi en va-t-il dans notre récit des bénéficiaires du vin nouveau qui remarquent seulement qu’il est encore meilleur que le précédent.

Qu’est-ce donc qui va déclencher l’action du Christ ?
Deux choses. La première, c’est le manque. Le vin étant dans le Bible le symbole de la joie, les convives vivaient joyeusement, mais dans des joies terrestres, et sans doute faut-il voir la limite des joies terrestres pour pouvoir vraiment bénéficier des joies spirituelles. Et il est vrai aussi que quand on goûte les joies spirituelles, (symbolisées par le vin produit par le Christ), on découvre qu’elles sont infiniment supérieures en qualité à toute joie terrestre, et en plus elles ont la grande qualité de ne pas trouver de limitation, de ne jamais manquer.

Vient ensuite l’action de Marie. Car c’est bien elle qui va déclencher l’action du Christ. Elle commence par remarquer ce manque, et elle s’adresse à Jésus. L’action de Marie est intéressante, parce que celle-ci est certainement dans l’Évangile de Jean, comme l’a toujours dit la piété romaine, l’image même du croyant. Son attitude est donc un modèle, et c’est son exemple que nous devons suivre. La mère de Jésus, ainsi, comprenant la limitation des joies terrestres s’adresse à Jésus en croyant qu’il peut faire quelque chose. Elle ne sait pas quoi, elle lui fait simplement part de ce manque. Elle reconnaît qu’elle a besoin de lui, que nous et notre maison avons besoin de lui, elle reconnaît que sans lui, la vie manque de véritable joie, que la vie est limitée, presque éteinte. Sans doute est-ce cela le sens même de la prière : dire à Dieu son manque, et attendre de lui sans forcément lui dicter ce que nous voudrions qu’il fasse, car nous sommes par définition incapables de deviner la nouveauté de vie que Dieu peut nous offrir. Marie ensuite, reste dans une confiance totale en Jésus et invite à la disponibilité : Faites ce qu’il vous dira. Elle s’en remet à lui.

Notre collaboration, notre implication
Le procédé qu’utilise ensuite Jésus pour offrir ce vin merveilleux de la joie éternelle est bien complexe. Il s’adresse aux serviteurs, il leur demande de remplir d’eau six jarres qui servaient à des rites de purification, pour en servir ensuite le contenu. Cela semble bien compliqué, et tant qu’à faire un miracle, pourquoi cette mise en scène ? C’est sans doute parce que la démarche même est importante et c’est cette même démarche que nous devons reproduire dans nos vies pour bénéficier encore, symboliquement, du même miracle. Ce qu’il demande de faire au serviteur nous montre qu’il faut qu’il y ait une démarche de notre part, que nous collaborions à l’œuvre de Dieu en nous, en ne faisant pas qu’attendre de la recevoir passivement. Cette démarche qui nous est demandée peut être comprise à partir du fait que ces jarres étaient des jarres de purification. La religion des juifs de l’époque était pleine de commandements visant à purifier sa vie, à reconnaître son péché, son imperfection, et à affirmer le pardon de Dieu. Sans doute que le Christ nous invite à passer premièrement par cette démarche de confession de notre péché et de réception de l’annonce de la grâce. C’est d’ailleurs le point de départ de l’Évangile dans les trois autres Évangiles par la prédication de Jean Baptiste qui plongeait les gens dans l’eau en leur annonçant le pardon de leurs péchés et en les incitants à se convertir, à changer de vie. Là le Christ s’adresse à nous comme à des « serviteurs » : il y a une dimension d’obéissance dans la foi. Si nous voulons bénéficier de la vie éternelle et de la joie extraordinaire de Dieu, il nous faut non seulement s’unir à Dieu, mais peut-être aussi premièrement lui obéir. Ce n’est pas parce que l’Évangile nous annonce l’amour et la grâce de Dieu que tout comportement est bon, et qu’en faisant n’importe quoi, ou rien du tout, on est dans la vie éternelle.

Jésus propose alors aux serviteurs que nous sommes de remplir nous-mêmes les six jarres de purification d’eau, et de puiser dedans. Nous sommes donc invités à faire ce que nous pouvons dans notre démarche spirituelle humaine. Souvent, elle est un peu simpliste et dérisoire, faite de rites, de prières répétitives, de pratiques de piété, mais il ne faut pas la déprécier ; le miracle, c’est que quand nous y puisons pour boire, ou pour donner à boire, cette eau est transformée en vin, en joie supérieure et en vie éternelle. C’est effectivement un miracle qui nous dépasse.


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