Chers amis,
Pendant ces trois dimanches qui suivront, nous méditerons sept paraboles que Matthieu a groupées dans le troisième grand discours de Jésus. En cette occasion, Jésus se trouve dans un tournant déterminant de son ministère : il se heurte aux difficultés comme nous avons eu l’occasion de le méditer ce dernier dimanche. Il se heurte à l’hostilité directe des chefs religieux qui veulent l’enfermer au sein des discussions de leurs écoles théologiques, ils veulent même le supprimer. En outre, les foules, après l’enthousiasme des débuts de la prédication de Jésus, sont déçues par ce messie qui refuse de passer à l’action politique pour libérer ce peuple du joug des Romains. Jean le Baptiste était de ceux qui attendaient une telle libération : « déjà la cognée se trouve à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu (…) il tient en main la pelle à vanner (…), quant aux bales, il les consumera dans un feu qui ne s’éteint pas » (Mt 3,10…12). Voilà qui on attend. Mais que se passe-t-il ? Ecoutons la parole.
La 1ère lecture rappelle aux rescapés de l’exil qui s’apprêtent à repeupler Jérusalem qu’une seule voie conduit au bonheur : l’accueil de la Parole de Dieu, qui ne déçoit jamais. Elle est féconde et efficace comme les précipitations qui abreuvent la terre. Dans la parabole du semeur, la Parole de Dieu est comparée aux grains qui tombent sur différentes sortes de terrain. L’évangile de Matthieu insiste sur les grains perdus, picorés par les oiseaux, brûlés par le soleil ou étouffés par les épines. Ces images visent les difficultés d’une vraie conversion et les obstacles que rencontre l’annonce de la Bonne Nouvelle. Mais la puissance de Dieu se manifeste dans les grains tombés sur la bonne terre, qui rachètent superbement les partes subies par ailleurs. Certes, la Parole de Dieu est toute puissante mais elle ne s’impose pas, elle demande à être accueillie librement et pour que sa semence grandisse en nous, elle doit trouver un cœur bien disposé. En effet, la foi est une vie qui se sème un jour, germe, grandit et fructifie, non sans difficultés et obstacles qui pèsent sur notre liberté d’y adhérer.
« Le semeur est sorti pour semer », nous dit la parabole. Jésus est « sorti de la maison » pour enseigner les foules et ses disciples. Nous pouvons lire dans ce mouvement de sortie toute la dynamique de l’Incarnation. Tout comme la semence a jailli des mains du semeur pour être jetée en terre, le Verbe, Parole vivante, a lui aussi, de la même manière, été envoyé par le Père pour se faire chair et venir féconder la terre de notre humanité.
En lui, le Royaume de Dieu s’est fait proche de tout homme. Car de même que la semence a été envoyée par le semeur sur tout type de terre, qu’elle soit rocailleuse, chargée d’épines ou bien labourée, de même le Père a envoyé son Fils frapper à la porte du cœur de tout homme que ce cœur soit épineux, dur comme la pierre ou prêt à s’ouvrir, ou peut-être un peu des trois. En tous cas, des obstacles qui pourraient décourager ne manquent pas.
C’est cela qui a caractérisé le peuple de Dieu, déçu de ne pas voir s’accomplir les promesses annoncées par les prophètes. Les déconvenues qui ont suivi le retour de l’exil ont fait ressentir tout particulièrement cet apparent échec des promesses du Seigneur. Le Créateur qui a disposé la pluie fécondante pour assurer la nourriture de l’homme serait-il moins efficace pour accomplir ce qu’il a promis. La première lecture y répond, et l’évangile nous le confirme en soulignant l’espérance qui anime le semeur, malgré les difficultés réelles qui pourraient paralyser son activité. Il s’y met alors.
Le semeur de la parabole, que l’on ne peut soupçonner de maladresse, fait manifestement preuve d’une extrême largesse. C’est comme s’il ne voulait oublier aucun coin de terre, si petit soit-il, où sa semence pourrait germer. La semence a son origine dans l’espérance du semeur parce que personne n’ensemencerait s’il n’entretenait pas la confiance de récolter un jour du fruit. « Wanka kurimira umwana w’inyoni uwawe akananuka », disent les Burundais. Mais, en même temps, la semence alimente l’espérance. Quand le semeur commence à ensemencer, il est rempli de joie et d’espérance en voyant réalisée dans le futur la promesse de son travail. Il fixe son regard pas tant sur le travail présent avec son lot de fatigue et de sueur mais sur la promesse d’une belle récolte. Ceci est une leçon d’espérance. Quand tu regardes ta pauvre vie, quand tu regardes la vie de l’Eglise, ou le monde, n’en restes pas aux constatations pessimistes et découragées : malgré tous les échecs, une récolte se fera. Soyons témoins de l’espérance. Tel est l’une des attitudes que nous inspirent les lectures de ce jour.
De même, notre Seigneur porte un regard d’espérance sur chacun et sur l’œuvre en lui de sa grâce. Nonobstant un terrain irrégulier, qui n’offre aucune garantie, il continue à semer jusqu’à ce qu’une de ses semences trouve un endroit bien disposé pour la recevoir et se laisser féconder. Et quelques mois plus tard la semence commence à produire son fruit, là trente, là soixante, là cent pour un. C’est la confirmation qu’il avait raison de semer avec générosité et grand sacrifice. Un semeur qui prévoyant qu’une partie de son grain ne germerait pas parce qu’il serait tombé hors d’un terrain bien préparé renoncerait à semer ne ferait que se comporter de façon insensée.
Cependant, la générosité du semeur dans ses semailles n’enlève rien au fait qu’il s’agisse d’avoir un terrain bien disposé pour accueillir la semence et lui permettre de porter un fruit qui demeure. « Celui qui a des oreilles qu’il entende ! ». La liberté de l’auditeur est interpellée ! La parabole du Semeur nous invite à examiner notre vie. Quel type de terrain suis-je ? Quel type de terrain est-ce que j’offre à la Semence de sa Parole ?
– Le chemin imperméable: Combien de fois avons-nous fait l’expérience de participer à la messe, et après être sortis, ne même pas nous rappeler ni l’Evangile proclamée, ni l’homélie du jour ? Le prêtre a parlé, il vraiment bien parlé ! Mais qu’a-t-il dit ?
– Terre pierreuse : certains passages de la bible nous ont quelque fois plu quand nous les écoutons (ce passage me plaît beaucoup), créant même des émotions fortes. Mais si notre vie reste la même, cela signifie que la Parole n’est restée qu’au niveau superficiel, et que donc, nous n’avons pas permis qu’elle arrive au plus profond de nous-mêmes.
– Terrain buissonneux : souvent, nous avons donné place à la Parole de Dieu, avec le désir de la mettre en pratique et nous convertir, mais en même temps, nous avons pensé qu’elle pouvait cohabiter avec les désirs mondains, les succès auxquels nous ne voulons pas renoncer. Nous ne nous sommes même pas rendus compte qu’elle n’a pas porté de fruits.
– De la bonne terre : nous pouvons faire notre révision de vie sur certains critères. Voyons entre autres : appartenance à la communauté, la vie fraternelle, la prière personnelle, l’aide aux pauvres, la capacité de pardonner, la constance dans la vie de fois,…
La question soulevée par les textes de la liturgie de ce dimanche est celle de notre libre collaboration à l’œuvre de la grâce divine en nous. Dans la deuxième lecture, saint Paul nous dit que celle-ci ne se fait pas sans douleur. La croissance des prémisses de notre résurrection, déposés en nous au baptême, passe nécessairement par un consentement douloureux dans la mesure où notre liberté reste marquée par les conséquences du péché des origines. L’image de l’enfantement utilisée par saint Paul qui provoque dans le même temps joie et douleur exprime particulièrement bien notre situation ici-bas. Plutôt que de reprocher à Dieu de ne pas intervenir dans nos vies ou d’agir trop lentement, peut-être serait-il plus juste et plus fructueux de nous émerveiller devant sa patience et la générosité de sa grâce envers nous. Grand merci, Seigneur.
«Seigneur, puissions-nous trouver dans l’Eucharistie et dans la méditations des textes de ce dimanche le désir et la force de mener une vie chrétienne plus authentique et plus engagée, fondée sur l’efficacité de ta Parole et sur la responsabilité qui est la nôtre face aux dons reçus de toi et la nécessité de porter du fruit. Ainsi soit-il. »