1. Politique et religion : le débat est vieux comme le monde des hommes. Voici, à plus de cinq siècles d’intervalle, deux éclairages significatifs. Dans la première lecture, un prophète contemporain de l’exil affirme que les chefs politiques peuvent devenir, à leur insu, des instruments providentiels entre les mains du Dieu unique. C’est le cas de Cyrus, roi des Perses et des Mèdes, qui mettra fin à l’empire babylonien en 539 après une campagne foudroyante. Libéral et tolérant, il permettra, l’année suivante, aux juifs exilés de rentrer dans leur patrie. C’est donc par un roi païen et au fil des avatars de l’histoire que le Seigneur libérera son peuple. Le prophète salue le libérateur humain du titre de Messie : c’est Dieu qui l’envoie à cause de son peuple, Dieu qui use des événements pour accomplir ses promesses, même si l’instrument de son salut ne le connaît pas.
Tirons la première leçon : évoquer ceux qui autour de nous ne partagent pas notre foi, qui « ne connaissent pas Dieu », et se rappeler qu’à chacun le Seigneur dit : « Je t’ai appelé par ton nom », n’est-ce pas affermir notre espérance pour tous les hommes ?
2. Faisant la part des choses pour rendre à Dieu un culte qui lui appartient, dans la deuxième lecture, Paul rappelle que l’Evangile tire son efficacité de l’action de l’Esprit qui accompagne la Parole des Apôtres. Ayant rejoint Paul à Corinthe, Sylvain et Timothée lui apporte la bonne nouvelle à propos de la jeune communauté de Thessalonique, comment elle est fervente. Paul décide alors de leur écrire la première lettre, en vue de les encourager à continuer à vivre la foi, l’espérance et la charité. Ne perdons pas de vue, bien en-entendu, que ce ne sont pas les Thessaloniciens que Paul et ses compagnons remercient, mais Dieu à l’œuvre en eux. Partant d’une situation concrète (leur ferveur), il sait rendre à Dieu sa louange. Car si la foi, la charité et l’espérance de cette communauté sont si vaillantes, c’est à Dieu qu’elle le doit. Le Seigneur a choisi ces hommes et ces femmes de Thessalonique : ils sont son peuple, comme Israël l’avait été autrefois, lui, le peuple choisi. Paul sait cela non pas de lui-même, mais parce qu’il a vu l’œuvre de l’Évangile s’accomplir en eux. Lui, Silvain et Timothée ont certes témoigné par la parole et l’exemple de leur vie, mais Dieu lui-même a accrédité leur témoignage et ouvert le cœur et l’esprit des Thessaloniciens, par son Esprit. S’ils croient et vivent dans la charité et l’espérance, ce n’est pas grâce à eux-mêmes, ni à Paul et ses compagnons, mais grâce à Dieu.
Dans ma prière, je dois apprendre grâce chaque jour comme l’apôtre Paul pour le témoignage que donne ma communauté chrétienne d’une foi active, d’une charité qui se donne de la peine et d’une espérance qui tient bon.
3. Dans cet évangile de Matthieu que nous méditions aujourd’hui, Jésus renvoie dos à dos les pharisiens et les hérodiens qui lui demandent s’il est permis, oui ou non, de payer l’impôt à César. En l’an 6 avant Jésus-Christ, les Romains avaient imposé une taxe pour chaque femme et chaque homme ayant entre 14 et 65 ans : il s’agissait d’un denier, c’est-à-dire le salaire journalier. Cet impôt devait être payé en monnaie romaine ce que les Hébreux ne supportaient pas (le roi César s’était fait proclamer Augutus=digne d’adoration, par le sénat romain !). Ils attendaient le règne de Dieu comme une Théocratie, un règne direct de Dieu sur toute la terre Mais Dieu exerçait et exerce sa souveraineté même indirectement, comme nous l’avons médité dans la première lecture, dans la figure de Cyrus.
Les hérodiens, au contraire, nés au temps d’Hérode Antipas, étaient favorables au paiement pour conserver le pouvoir acquis. Les voici qui se mettent ensemble (un mariage normalement impossible !) pour tendre un piège à Jésus. Ici, une autre leçon : ça ne suffit pas que les gens s’entendent pour une chose pour qu’elle soit bonne. Sans Dieu, nos entreprises humaines peuvent recueillir un consensus et, en même temps, nous mener à notre perdition. Soyons attentifs.
4. Jésus nous remet sur les rails. Hypocrites ! Vous avez dans la main l’argent de César, preuve que vous bénéficiez des institutions de l’État, et vous demandez s’il est permis de payer l’impôt ! Voici le piège ! Ou Jésus renonce à sa popularité auprès des foules en affirmant qu’on doit payer l’impôt à l’occupant romain, ou bien il prêche la révolte, au moins passive, en déclarant qu’il n’est pas permis de le payer. C’est d’ailleurs cette seconde réponse que les juifs attendaient du Messie, sauveur politique autant que religieux.
Nous pourrions nous tranquilliser l’esprit en disant que nous ne tendons pas de piège au Seigneur. Attends ! Ces personnes veulent tendre le piège à Jésus après une louange hypocrite. Qu’en est-il de nous ? Sommes-nous sincères quand nous prions, quand nous louons le Seigneur, quand nous dansons… ? Mais, si à la fin de ces louanges, nous rentrons comme nous sommes venus, et ne nous engageons pas à faire la volonté de Dieu, que fera-t-il de nos éloges ?
5. Jésus distingue entre le portrait de César et l’inscription qui l’accompagne. L’image est celle de l’empereur : rendez donc à l’empereur les honneurs qui lui sont dus, en particulier l’impôt. L’inscription faisait de l’empereur un dieu d’où le devoir de clarté : ne rendez de culte qu’à Dieu. Ainsi la religion n’est au service de l’État, comme le disait l’inscription, ni l’État au service de la religion, comme le voulaient les juifs. La réponse de Jésus signifie réalité : « Cessez défaire de la Palestine une affaire politico-religieuse. Le citoyen pourrait alors verser le tribut à l’empereur sans vendre son âme. Nous n’avons pas à choisir entre politique et religion ; nous devons éviter de les mêler. Le vrai nœud de la question n’est pas de se soulever contre celui-ci ou celui-là, mais dans la conversion du cœur. Rappelons-le : Jésus a vécu entre deux condamnations à mort, celle d’Hérode à peine né et celle de Pilate à la fin de sa vie. Il est donc apparu plus dangereux que tous les agitateurs, avant qu’il ne soit même capable de prononcer un mot. D’où l’importance de voir comment je mets mon pied dans celui de Jésus.
Nous connaissons des hommes et des femmes, (parce qu’ils sont nos amis ou simplement de par le rôle qu’ils occupent), engagés dans des responsabilités au service de l’État, donc du bien commun, dans la commune, l’enseignement, les hôpitaux, les forces de l’ordre. Prions, spécialement au cours de la prière universelle, pour qu’ils aient les conditions d’accomplir au mieux leur service. L’intention de prière que nous leur réservons dans nos célébrations n’est pas simplement une formule ou un formulaire liturgique auquel nous répondons « exauce-nous Seigneur » sans même avoir entendu ce qu’on a prié pour eux et en notre nom.
Dieu créateur. La terre entière est l’œuvre de tes mains. Donne-nous de reconnaître ton visage sur celui de tout homme, à quelque peuple qu’il appartienne. Préserve-nous des passions religieuses qui dénaturent l’espérance du Royaume aussi bien que le service de la cité. Apprends-nous, Seigneur, à te rendre ce qui te revient : l’action de grâce, la louange et l’offrande de nos vies.