La solennité du Sacré-Cœur de Jésus nous replonge dans la méditation de la Passion selon saint Jean qui est d’un réalisme frappant. L’apôtre qui a suivi le Seigneur jusqu’aux derniers instants de sa vie terrestre est le seul à nous révéler les détails si bouleversants que nous venons d’entendre. Ils sont criants de vérité, et ils nous disent l’intensité du drame dans sa dimension spirituelle et salvifique à notre égard. Saint Jean nous rapporte ces circonstances dramatiquement banales: les soldats ne brisèrent pas les jambes de Jésus crucifié, mais l’un d’eux, avec sa lance, lui perça le côté d’où s’écoulèrent du sang et de l’eau. Ces détails ont une portée symbolique comme le témoignent les textes prophétiques cités par l’évangéliste, concernant l’amour de Dieu pour l’humanité. Cet amour, le prophète Osée le célèbre en termes émouvant dans la première lecture. L’épitre aux Éphésiens en manifeste « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur ». Saint Paul voit dans les quatre bras de la croix les dimensions symboliques de l’amour de Jésus. Son cœur Jésus révèle les richesses du projet éternel que Dieu a réalisé en son Fils.
Le Fils de l’Homme s’est livré librement, il a donné sa vie en rançon pour notre liberté afin d’accueillir son salut. Ils nous a libérés: c’est-à-dire que nous sommes délivrés de ce qui faisait obstacle pour que nous accueillions le salut. En effet, nous sommes rendus capables de désirer le salut, maintenant il ne faut que nous y engager parce que cela est désormais possible. Le prix à payer est soldé, il reste notre engagement. Dieu peut me libérer sans moi, puisque je ne suis pas capable de le faire (mes faiblesses quant à ma détermination…), mais il ne me sauve pas malgré moi. Je dois y coopérer!
La mort et le péché avaient cru trouver dans ces instants l’occasion inespérée d’affermir leur pouvoir en tuant la seule menace à leur empire de ténèbres. Car la mort ne supporte pas la force de la vie : le dynamisme de la vie, sa beauté, sa créativité, sa fécondité, sont insupportables à celle qui ne peut que détruire. Arrêtons -nous y un instant ! Moi-même, est-ce que je supporte cela? Est-ce que me réjouis du succès de mon prochain? De sa créativité? Le prince des ténèbres s’est jeté voracement sur le Dieu assumant la faiblesse humaine, et il s’est imaginé capturer définitivement l’humanité dans son esclavage.
La victoire lui semblait acquise, un constat de décès devait la couronner. Quelques soldats sont dépêchés pour cela. Ils brisent les jambes des brigands condamnés avec le Seigneur, pour hâter leur mort. Jésus, lui, ne respire déjà plus. Les os de Jésus n’ont pas été brisés tout comme ceux des agneaux qui devaient rester entiers avant d’être consommés. En effet, il meurt à l’heure où les Juifs sacrifiaient les agneaux de la Pâque du lendemain. En soulignant ces rapprochements, Saint Jean nous montre en Jésus le véritable agneau pascal.
Mais le bourreau ne permettra pas d’ensevelir un crucifié qui n’a pas été percé ; c’est donc avec une lance que l’on signe le certificat de décès de Jésus. Contre toute attente, ce fut la révélation d’une source de vie. Le corps de Jésus, même mort, est source de vie ! Des films reconstituent la réalité en nous montrant comment l’eau qui sort du côté transpercé guérit la cécité de l’œil de Longin, ce « soldat-à-l’heureuse-lance ». Il reçoit des yeux pour se rendre aux évidences, comme fut pour le centurion (un païen, un malfaiteur puisque faisant partie de ceux qui opprimaient le peuple de Dieu, alors colonisé par les Romains!) qui proclama que cet hommes était vraiment un saint. A l’instant où l’Ennemi crut sa victoire totale, jaillit la source qui ne tarira jamais. À l’instant où le démon pensait que l’humanité tout entière sombrait, s’ouvrait, béant, le refuge des pécheurs. La blessure ouverte du Cœur de Jésus jamais ne se fermera. En laissant transpercer son Cœur, Jésus nous enseigne que l’amour qu’il nous porte est vie, vie surabondante et intarissable. C’est ce que le Seigneur nous invite à voir et méditer, en se servant de Sainte Marguerite Marie Alacoque.
Cet événement choquant et violent ne peut être expliqué que par la folie de l’amour de Dieu pour les hommes. Il a souffert sa Passion jusqu’au bout, le bois de sa croix pesait de tous nos péchés, le bois du supplice déchirait de tous nos mépris de Dieu. Mais aussi nombreux fussent-ils, aussi grands fussent-ils, l’ensemble de tous nos péchés ne pouvait venir à bout de l’amour miséricordieux de notre Seigneur. Après avoir aimé jusqu’à la dernière goutte de sang, ce cœur a choisi d’être blessé pour nous ouvrir aux dimensions de l’infini de la Miséricorde. D’ici alors l’occasion de prier pour la sanctification des prêtres, qui sont instruments de la miséricorde de Dieu.
Cette eau jaillissant de la fontaine de vie purifie nos cœurs. Elle fait taire les bruits incessants de nos bonnes raisons de ne pas aimer (puisque nous pensons à la réciprocité de l’amour!) et laisse résonner les promesses de jadis : « j’ai aimé Israël dès son enfance. Je l’ai appelé mon fils. C’est moi qui lui ai appris à marcher, le soutenant de mes bras ». Ce cœur blessé déchire la nuit de nos tiédeurs et réveille la chaleur première de notre alliance avec le Seigneur. Et il nous interpelle : « qui aimera l’amour ? » Oserons-nous nous abandonner ? Oserons-nous nous laisser étourdir par la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur abyssales de l’amour de Dieu ? Alors que nous étions encore ses ennemis, Jésus-Christ nous a ouvert son cœur. Il nous a ouvert les portes du Ciel, pour que nous puissions « accéder auprès de Dieu en toute confiance ». Nous avons été libérés de nos anciens esclavages.
Avançons-nous donc joyeusement, dans l’action de grâce. Laissons-nous recréer par la Miséricorde qui se donne et se vit dans le sacrement de la réconciliation avec le Dieu trois fois saint. Approchons-nous de la table eucharistique où ce Cœur se donne en nourriture pour fortifier l’homme intérieur et nous transformer en lui. Alors, enfin, nous connaitrons « l’amour du Christ qui surpasse tout ce qu’on peut connaître ».