
En méditant la Parole de ce 27ème dimanche du Temps Ordinaire (Année B), il est bon de redécouvrir, comme croyant, le sens profond de l’égalité dans la complémentarité entre l’homme et la femme, tenant compte de leur diversité, sans céder aux glissements idéologiques de la culture contemporaine. Dans le développement de ce thème, nous référerons à quelques données bibliques et aux réflexions développées en anthropologie philosophique et théologique qui sont en rapport avec le rapport homme-femme. Nous voulons offrir quelques pistes de réflexion afin de ne pas céder aux tendances idéologiques qui sont véhiculées par les courants de l’émancipation de la femme.
La culture contemporaine entretient ces glissements en voulant imposer d’autres perspectives d’envisager la relation homme-femme en termes d’égalité-diversité, puisque le terme de diversité est souvent pris pour celui d’identité. La relation entre l’homme et la femme doit être appréhendée dans une autre logique : « identité-différence ». Alors que l’identité (du bas latin identitas, du latin idem=le même) signifie au sens strict la convenance d’une chose par rapport à soi-même, et au sens large, le rapport que présentent en commun deux ou plusieurs choses, la différence implique l’idée de « porter ailleurs l’identique, d’en changer l’emplacement. En effet, le terme dérive de la forme verbale dif-ferre signifie porter ailleurs, éloigner. En tant que telle, la différence ne brise pas l’unité à l’intérieur de laquelle elle se déploie puisqu’il s’agit du même, situé seulement ailleurs, ce même qui constitue le fondement qui permet la relation entre les réalités identiques, bien que distinctes.
On gomme exprès et idéologiquement l’élément originel qu’est la nature humaine, individuée de façon différente et identique en l’homme (mâle) et la femme (femelle), c’est-à-dire, la même nature humaine présente en l’autre de façon nouvelle et complémentaire à celle de l’autre. C’est par ailleurs ce que reconnaît Adam quand il s’exprime, en disant : « voici cette fois-ci celle qui est os de mes os et chair de ma chair » (Gn 2,23), lui qui n’avait encore rien dit depuis que le récit biblique nous le présente au milieu des autres créatures auxquelles il donne des noms, dans une relation asymétrique, celle du « moi-objet ». En rencontrant et en recevant Ève, Adam se retrouve lui-même.[1]
Avec elle, il entre dans une relation intersubjective, interpersonnelle, un « je-tu ». Il n’est plus dans la solitude originelle dont parle Gn 2,18 : « il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je vais lui faire une aide qui soit semblable à lui ». C’est alors qu’Adam se retrouve soi-même dans la « côte » prise à partir de son thorax : « L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme et il l’amena vers l’homme » (Gn2, 22). Le terme selâ (= côte) mérite une attention particulière. Il s’agit d’un terme technique utilisé dans l’architecture sacrale qui renvoie aux poutres et autres matériaux architecturaux. L’auteur yahviste s’inscrit dans un contexte de réveil des associations de constructions du temple. En 1Rois 6, selâ renvoie aux murs, aux poutres de l’édifice alors qu’en Ex25,12ss, le terme est utilisé pour parler de ce qui soutient les côtés de l’arche.
La femme, un don de Dieu à l’homme
L’homme n’est pas supérieur à la femme ; il n’est pas non plus son maitre-dominateur puisque la création de la femme échappe complètement au regard de l’homme : elle est créée pendant que l’homme s’endort dans un sommeil profond, une torpeur similaire à la mort, que l’hébreu nomme par tardemâ.Adam ne peut qu’accueillir Ève comme un don de Dieu, comme celle qui a une dignité égale à la sienne puisque les deux sont l’œuvre du même Dieu. « Dans la théologie de l’auteur yahviste, la torpeur dans laquelle Dieu a fait tomber le premier homme souligne l’exclusivité de l’action de Dieu dans la création de la femme ; l’homme n’y eut aucune participation consciente. Dieu s’est servi de sa « côte » uniquement pour souligner la nature commune de l’homme et de la femme.[2]
C’est le mot « torpeur » (tardemâ) qui est employé dans la Sainte Écriture lorsque, pendant le sommeil ou directement après, doivent se produire des événements extraordinaires (cf. Gn15, 12 ; 1S26, 12 ; Is29, 10 ; Jb4, 13 ; 33,15). La Septante traduit tardemâ par ektasis, extase. Dans le Pentateuque, tardemâ apparaît encore une fois dans un contexte mystérieux : sur l’ordre de Dieu, Abram a préparé un sacrifice d’animaux, dont il chasse les rapaces : « Au coucher du soleil une torpeur saisit Abram et voici qu’une obscure terreur tomba sur lui. » (Gn15, 12.) C’est précisément à ce moment-là que Dieu commence à parler et qu’il conclut avec lui une alliance qui est le sommet de la révélation faite à Abram. Cette scène ressemble d’une certaine façon à celle du jardin de Gethsémani : Jésus « commença à ressentir frayeur et angoisse… » (Mcl4, 3) et il trouva les apôtres « endormis de tristesse » (Lc22, 45). (…). Il se produit une action divine spéciale, à savoir une « alliance » riche de conséquences pour toute l’histoire du salut ; Adam donne naissance au genre humain ; Abraham au Peuple élu. »
La femme est-elle le sexe faible comme on l’entend dire souvent ?
En cherchant à approfondir le sens des textes bibliques dont il est question pour cette réflexion, nous réalisons combien la création de la femme est riche de signification pour les fondements de l’anthropologie humaine qui se nourrit de la différence sexuelle : Gn2, 22 utilise le terme banâqui signifie construire, faire, créer, faire exister[3].
Créée (ici construite) à partir d’un matériau solide (selâ), la femme se présente à l’homme, capable de l’aider (‘ezer = aide, ‘azarâ = clôture, protection), et spécialement dans un rapport frontal de face à face pour que les deux se donnent et s’accueillent mutuellement. En créant la femme, Dieu se sert donc de matériaux de valeur, solide, structurel et sacré afin qu’elle se tienne aux côtés de l’homme comme une aide et une colonne sur laquelle l’homme peut compter et s’appuyer : « celui qui acquiert une femme a le principe de la fortune, une aide semblable à lui, une colonne d’appui » (Sir 36, 24) ; « c’est Toi qui as créé Adam, c’est Toi qui as créé Ève sa femme, pour être son secours et son appui » (Tobie 8,6).
Puisque c’est Dieu qui « construit » la femme comme le temple, celle-ci doit construire la cité humaine de par sa maternité, comme Rachel et Léa ont construit la maison d’Israël en mettant au monde les patriarches (Ruth 4,11). Cette édification de la cité se réalise dans le face à face comme le soulignent les textes sacrés : L’auteur sacré emploie aussi l’adverbe kenegdô c’est-à-dire ke (comme), negd (en face, contre) et ô (à lui). Cela renvoie à une relation sexuelle différentiée qui aide chacun des partenaires à se réaliser et se découvrir. En effet, d’autres passages comme Ps51, 17 ; Jr36, 29 donnent à terme le sens de révéler, annoncer, montrer, expliquer.[4]
L’homme ne devient vraiment « mâle » qu’avec et par la présence de la femme.
Les mêmes catéchèses du Pape Jean-Paul II sur l’amour humain montrent qu’un des aspects de la solitude humaine est lié à la différence sexuelle. Il développe l’idée qui nous aide à comprendre combien il est : « significatif que le premier homme (‘adam), créé à partir de la poussière du sol, ne soit défini comme mâle (‘ish) qu’après la création de la première femme. (…). Le texte hébreu appelle constamment le premier homme ha‘adam tandis que le terme ‘îš (‘ish = mâle) est introduit seulement quand émerge la confrontation avec ’îššah (‘isshah = femelle). Était donc solitaire l’homme, sans référence au sexe ».[5]
Que l’homme libéré de cette solitude par la rencontre de la femme commence à parler, et à parler de soi-même, Etienne Roze trouve cela significatif et commente : « aussi longtemps qu’il n’est pas tombé amoureux, l’homme parle de tout, et parle peu de lui-même ; mais quand il rencontre celle qui lui a été donnée, il ne peut plus ne pas parler de lui puisqu’il doit dire à celle qu’il aime la joie et la nouveauté de s’être découvert intérieurement. (…). Ainsi, en aimant, le premier homme parle et, en parlant, il se révèle ».[6] Nous estimons qu’une telle analyse soit assez suffisante comme fondement anthropologique de la différence sexuelle, dans une parité d’identité et une unité duelle.
Conclusion
Nous comprenons que la diversité et la différence sont deux concepts irréductibles l’un à l’autre, bien que la charge émotionnelle et idéologique du débat concernant la sexualité humaine permette de tels glissements et confusions. Somme toute, « la notion de diversité met en relation des réalités en elles-mêmes séparées et extrinsèques, et se caractérise comme opposée à celle de l’identité, alors que la différence, n’ayant pas un rapport immédiat au multiple et au pluriel, peut être retrouvée dans l’identique. Avec la notion de différence, on ne quitte pas le domaine de l’unité au sens propre ».[7] Voilà alors la logique dans laquelle les lectures de ce dimanche nus mettent, comme croyants, comme chrétiens.
[1] Cf. L-J. FABRY, « ‘selâ’ » in G.J. BOTTERWECK – H. RINGGREN (a cura di), Grande Lessico dell’Antico Testamento, op. cit., vol. 6, (VI, pp. 1060-1065), p. 1063.
[2] Cf. JEAN PAUL II, La théologie du corps, p.162, note 13.
[3] Cf. WAGNER, S., «banâ», in BOTTERWECK, G.-J. & RlNGGREN, H. (a cura di), Grande Lessico dell’Antico Testamento, op. cit., (I, pp. 689-706), p. 697.
[4] Cf. GARCIA LOPEZ, F., « kenegdô » in G.-J. BOTTERWECK – H. RINGGREN (a cura di), Grande Lessico dell’Antico Testamento, op. cit. (V, pp. 189-201), p. 189.
[5] JEAN PAUL II, La théologie du corps. L’amour humain dans le plan divin, Cerf, Paris 2014, p.152.
[6] ROZE, E., Verità e Splendore della differenza sessuale, …. p.156.
[7] SCOLA, A., « Identité et différence sexuelle », in Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, Téqui, Paris 2005, p.640.